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C’est pas tous les jours dimanche, Monsieur le Professeur

C’est pas tous les jours dimanche, Monsieur le Professeur Posted on 9 octobre 2020Leave a comment

L’histoire fait penser à un bretteur qui, à force de vouloir ferrer son adversaire après que le combat fut terminé, finirait par s’emmêler les pieds dans sa propre épée et se la prendre là où ça fait mal.

Le 20 septembre dernier, Christophe Deborsu avait invité les professeurs Jean-Pascal van Ypersele (climatologie, UCL) et Samuel Furfari (géopolitique de l’énergie, ULB) sur le plateau de l’émission « C’est pas tous les jours dimanche » (RTL-TVi) pour débattre du climat. Rappelons, à toutes fins utiles, que le dictionnaire définit le climat comme l’« ensemble des phénomènes météorologiques qui caractérisent l’état moyen de l’atmosphère en un lieu donné » (Larousse).

Au cours du débat, le professeur van Ypersele nia que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (plus connu sous l’acronyme GIEC), dont il fut le vice-président de 2008 à 2015, eut écrit dans son troisième rapport d’évaluation datant de 2001 que, comme l’alléguait à juste titre son confrère le professeur Furfari, le climat est « imprédictible ».

« Cela résulte d’une confusion entre climatologie et météorologie, insinua Jean-Pascal van Ypersele. Bien sûr, il est impossible de prévoir le temps du 21 juillet 2100 et de savoir s’il y aura une drache nationale si la Belgique existe encore ou pas. Mais il ne s’agit pas de ça. On parle de projections et pas de prédictions. Il y a différents scénarios possibles. On ne peut pas prédire l’état précis du système climatique dans 100 ans. Le GIEC le dit, les climatologues le disent, ils en sont bien conscients. »

Le professeur van Ypersele a cru opportun de poursuivre le débat sur Twitter : « Prétendre comme S. #Furfari que le GIEC aurait écrit qu’il n’était pas possible de prévoir l’évolution possible du climat à long terme est tout simplement faux. » Et d’accuser son confrère d’incompétence et de malhonnêteté pour avoir – à tort – déclaré que le rapport a disparu du site du GIEC. (Il faut chercher mais il s’y trouve, et ça n’était pas l’objet du débat. C’était le contenu qui importait.)

Qu’a écrit le GIEC ?

Revenons-y. Qu’a écrit le GIEC dans son troisième rapport d’évaluation ? Il aborde la question de la prédictibilité du climat dans les termes suivants extraits dudit rapport : « Predictability in a Chaotic System : The climate system is particularly challenging since it is known that components in the system are inherently chaotic ; there are feedbacks that could potentially switch sign, and there are central processes that affect the system in a complicated, non-linear manner. »

« These complex, chaotic, non-linear dynamics are an inherent aspect of the climate system. In climate research and modelling, we should recognise that we are dealing with a coupled non-linear chaotic system, and therefore that the long-term prediction of future climate states is not possible. »

En d’autres termes, la prévisibilité dans un système chaotique tel que le climat est particulièrement difficile, dès lors que des composants du système sont intrinsèquement chaotiques ; il y a des rétroactions qui pourraient potentiellement changer de signe et il y a des processus centraux qui affectent le système d’une manière compliquée et non linéaire.

Le GIEC concluait, textuellement : « Ces dynamiques complexes, chaotiques et non linéaires sont un aspect inhérent du système climatique. Dans la recherche et la modélisation climatiques, nous devons reconnaître que nous avons affaire à un système chaotique non linéaire couplé, et donc que la prédiction à long terme des futurs états du climat n’est pas possible. »

Erreur sémantique et erreur conceptuelle

Les quatre paragraphes ci-dessus sont extraits de l’essai On vous trompe énormément : L’écologie politique est une mystification que votre humble serviteur a publié en avril et qui est disponible sur amazon.fr.

Dans sa charge contre son confrère Furfari, le professeur van Ypersele a commis, à tout le moins, une erreur sémantique et une autre, conceptuelle.

L’erreur sémantique consiste pour le professeur van Ypersele à introduire lui-même une confusion, que son adversaire n’a pas commise, entre climatologie et météorologie. S’agit-il, pour une personne parlant en ses titres et qualités, d’une « erreur » ou d’un argument ad auditores, dont Schopenhauer explique dans son petit traité de dialectique éristique, L’Art de toujours avoir raison, qu’il s’agit d’une objection non valable utilisée dans un débat entre scientifiques par l’un d’eux devant des auditeurs ignorants ? L’objection n’est pas destinée à l’adversaire mais au public.

L’on pourrait en dire autant du distinguo qu’introduit le professeur van Ypersele entre « projection » et « prédiction ». Cela participe de ce registre dans lequel l’on ne se bat pas pour la vérité, mais pour sa propre thèse, c’est à dire pro ara et focis (« pour son autel et son foyer ») et per fas et nefas (par tous les moyens disponibles).

L’erreur conceptuelle réside dans le refus apparent du professeur van Ypersele d’admettre la nature intrinsèquement chaotique du climat, un aspect pourtant affirmé par le GIEC dans son troisième rapport d’évaluation dont il fut l’un des rédacteurs. A fréquenter Greta Thunberg et les jeunes égéries des jeudis de grève pour le climat, Jean-Pascal van Ypersele entend-il adapter son discours au niveau de connaissance de son jeune fan-club, empreint du déterminisme de la physique élémentaire que l’on enseigne aux adolescents quand ils sont à l’école et non en congé sabbatique ?

Qu’est-ce que la science ?

« La science, disait le physicien et chimiste belge Ilya Prigogine, Prix Nobel de chimie en 1977, spécialiste des systèmes dynamiques instables et pourfendeur du déterminisme comme règle dans les processus physiques, est toujours un enchaînement de propositions réfutables, et ce qui échappe à toute possibilité de réfutation relève de la magie ou de la mystique, non du domaine scientifique. »

Cet éminent esprit, cité par Guy Sorman dans Les vrais penseurs de notre temps, disait aussi : « Le savant n’est pas un être désincarné, il est étroitement tributaire de la société dans laquelle il vit. La culture ambiante oriente ses recherches comme le font le pouvoir et l’argent. »

La question n’est pas ici de trancher si c’est comme ci ou si c’est comme ça. Elle est de se demander si un véritable débat contradictoire entre savants de tous horizons ne pourrait pas être organisé sur les thèmes du forçage radiatif, de la corrélation entre CO2 et réchauffement climatique, de la nature anthropique ou non du réchauffement, afin d’informer le grand public et non de l’enfumer ?

Car, si l’on se contentait de lui servir bon gré mal gré des scénarios-catastrophes, le grand public ne finirait-il pas par croire qu’il est enfermé dans la salle de projection d’un film de science-fiction ?

C’est pas tous les jours dimanche !

(L’article ci-dessus a initialement été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 3951 du vendredi 2 octobre 2020.)

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