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Libérons-nous de nos écrans !

Libérons-nous de nos écrans ! Posted on 17 avril 20211 Comment

Qui n’a rencontré une personne qui ne prenant qu’un intérêt sporadique à la conversation en cours ne cessait de regarder sa montre-bracelet comme si elle devait prendre le train de 3 h 10 pour Yuma ?

En fait, avertie à chaque changement d’état de l’écran de sa « montre » (est-ce encore bien ainsi qu’il faut nommer cet instrument dont la mesure du temps n’est finalement qu’une fonction subsidiaire ?) de l’arrivée d’un message ou d’une info, la personne en question coupe le contact visuel avec vous et consulte l’une quelconque de ses nombreuses messageries pour vérifier s’il n’y a pas quelque chose qui se passe dans son monde virtuel et qui mérite la préséance par rapport à ce que vous lui racontez dans la réalité partagée et non augmentée.

Ils nous bouffent !

Les écrans ont envahi et empoisonnent notre quotidien. Ils nous aliènent autant que ne pourraient le faire certains régimes politiques ou maladies psychiques, à moins que lesdits écrans ne reflètent en vérité l’émergence d’un régime de type nouveau ou d’une nouvelle maladie. « Ils nous bouffent ! », résume le père Jean-Baptiste Bienvenu dans un ouvrage éponyme qui indique à la faveur de l’un et l’autre passage des évangiles que Jésus de Nazareth n’aurait pas utilisé de messagerie électronique, eût-elle existé au début de notre ère, pour répandre la bonne nouvelle.

Jean-Baptiste Bienvenu est prêtre du diocèse de Versailles, rédacteur du « Padreblog » et professeur de théologie morale. Il est aumônier à sa paroisse de quelque deux cents jeunes de la sixième à la terminale et c’est notamment à eux et à leurs parents que s’adresse son ouvrage qui se veut un guide très pratique et spirituel pour se libérer des écrans, ces « armes de distraction massive ».

Une tchatteuse tenta un jour d’expliquer à l’auteur de cette chronique qu’elle attendait une réponse instantanée à ses messages en ligne, fussent-ils empreints d’une insignifiance confondante assortie de plein d’émoticônes, car « c’était comme si l’on se parlait dans une même pièce ». Elle eut tôt fait, n’en doutez pas, de se chercher des allocutaires plus assidus.

Et les prêtres ? D’une part, ils s’entendent confier un nouveau classique en confession, « Mon Père, je passe trop de temps sur les écrans ! » D’autre part, ils confessent, pas directement à leurs ouailles peut-être, que nombre d’entre eux sont eux aussi « accros », certes dans un souci de transmission dynamique de la parole de Dieu, bien que la publication en ligne d’une photo du plat qu’à l’instant précis ils dégustent au restaurant puisse, concède l’auteur de Ils nous bouffent, faire douter de la sincérité pastorale du message partagé.

Il évoque ce dicton d’un poète anglais du XVIIIe siècle, « Where ignorance is bliss, ’tis folly to be wise » (« Il est folie d’être sage là où la joie règne dans l’ignorance ») et nous avertit quant à utiliser sans discernement ces appareils destinés à modifier les dimensions essentielles de nos existences, à instituer le toujours et le partout qui nous privent du bonheur de la véritable plénitude.

Le monde selon Chesterton

« Le fou n’est pas celui qui a perdu la raison. Le fou est celui qui a tout perdu, sauf la raison. » Soyons fous, libérons-nous des écrans et rentrons chez nous, l’une des manières d’y arriver étant d’y rester. Pascal n’eût pas démenti. Bienvenue dans le monde du prince du paradoxe, G.K. Chesterton (1874-1936), grand auteur anglais du XXe siècle dans lequel J.R.R. Tolkien, C.S. Lewis et Agatha Christie voyaient un maître et qu’admiraient Borges, Hemingway, Orwell ou encore Claudel.

Hubert Darbon a remis d’actualité pour les lecteurs francophones cet homme d’esprit inclassable en lui consacrant un petit volume au format pratique comportant 365 aphorismes à consommer chaque jour de l’année. Voir Le monde selon Chesterton, c’est, dit-il, le voir avec un regard profondément humain et chrétien, car cet auteur prolifique qui a joué un rôle dans la vie politique, intellectuelle et culturelle au Royaume-Uni et aux Etats-Unis s’était converti au catholicisme, sans doute parce qu’il estimait que « nous n’en connaissons pas assez sur l’inconnu pour savoir qu’il est inconnaissable ».

Journaliste à ses heures, Chesterton ne se faisait guère d’illusions sur la profession. Il n’en attendait aucun miracle. Comment un éditeur de journaux s’attirerait-il des lecteurs en titrant à la une « M. Wilkinson : rien à signaler » ou « Pas de mort en vue pour M. Jones » ? « L’image complexe que [les journalistes] brossent de la vie, est donc, par nécessité, fallacieuse : ils ne peuvent représenter que l’inhabituel. » Aussi démocrates s’affichent-ils, ils ne s’intéressent qu’à la minorité.

Dans le domaine politique, l’acuité intellectuelle de ce démocrate amoureux de la liberté se traduisit dans son égale méfiance à l’égard du socialisme et du capitalisme entre lesquels il voyait moins de différence que beaucoup ne pensent, l’un étant à ses yeux un système dans lequel l’Etat contrôle les grandes entreprises, l’autre, celui dans lequel les grandes entreprises contrôlent l’Etat. Cette lucidité se manifesta aussi dans son aversion du dogme progressiste. « Les progressistes sont des prophètes, écrivit-il, pour lesquels la minorité a toujours raison. »

Quant à la raison, il la considère comme une affaire de croyance : « Affirmer que nos pensées ont le moindre rapport avec la réalité est un acte de foi. » Et, non sans prescience par rapport aux grandes questions de notre temps, il situe la vérité bien au-delà de toutes les fictions. Ces dernières ne sont-elles pas des créations de l’esprit humain et, par conséquent, à sa mesure ?

Ils nous bouffent, Un guide très pratique et spirituel pour se libérer des écrans, Jean-Baptiste Bienvenu, 144 pages, Artège.

Le monde selon Chesterton, Une année avec le prince du paradoxe, préface et textes rassemblés par Hubert Darbon, 208 pages, Artège.

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(L’article ci-dessus a initialement été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 3978 du vendredi 9 avril 2021.)

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1 comment

  1. MERCI! Et, oui, « c’est folie d’être sage là où la joie règne dans l’ignorance »…. MAIS cette « joie », je l’appellerais plutôt « soumission ».

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