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Notre conscience nous appartient

Notre conscience nous appartient Posted on 7 juin 20251 Comment

Dans l’introduction de son essai, Bertrand Marie Flourez cite, extrait de La légende des siècles, le poème « La Conscience », racontant la fuite de devant Jéhovah d’un Caïn échevelé, livide au milieu des tempêtes, qu’un oeil ne cessa de poursuivre au cours de ses pérégrinations et jusque dans sa tombe. Mieux que quiconque Victor Hugo saisit le sens du mot conscience dont il est question ici. Il est de comprendre et inclut une dimension morale ou éthique qui implique que cette compréhension est de nature à changer notre comportement. L’enjeu est de savoir si nous avons la totale maîtrise de cette conscience ou s’il y a un risque que nous l’externalisions.

Clairement cette conscience ne se réduit pas à des raisonnements intellectuels ; elle en sera l’arbitre. Elle ne se réduit pas non plus à des phénomènes électriques, physiques et chimiques à l’intérieur du cerveau ; elle n’est donc ni observable, ni mesurable. Rien ne dit même que le cerveau soit le siège de la conscience. Flourez s’appuie ici sur Antonio Damasio, le médecin, professeur de neurologie, neurosciences et psychologie luso-américain, qui déclara à la sortie de son ouvrage L’Ordre étrange des choses en 2017 : « […] le cerveau et le corps sont étroitement liés et ce que l’on appelle l’esprit n’est pas le produit du seul cerveau, mais bien de son interaction avec le corps. »

Flourez en prend comme exemple concret ce propos de Xavier Gorce dans L’Express au moment où s’ouvrait le procès des complices des auteurs de l’attentat de Charlie Hebdo : « Je ne suis pas Charlie, aujourd’hui, c’est accepter que soient grignotés par petits morceaux textiles ou grosses tranches sanglantes l’espace laïc et les libertés de conscience, d’expression, d’ironie… pour préserver une paix illusoire. » Comment penser que la liberté de conscience dont il est fait état dans ce propos soit un produit électro-chimique du cerveau ?

Consumérisme quand tu nous tiens

René Girard et sa théorie du désir mimétique (que Flourez résume en « je veux comme l’autre, plus que l’autre, mieux que l’autre, mais surtout par rapport à l’autre ») avaient mis en doute que le moi soit hébergé en nous (contrairement à Freud qui quant à lui, le moi fût-il en partie inconscient, ne le situait pas en dehors de nous). Dans le même ordre d’idées, le sociologue français Jean Baudrillard estimait que dans la société de consommation celle-ci constitue un élément structurant des relations sociales. Il ne s’agit plus de simplement satisfaire à des besoins, mais de se distinguer, et finalement d’exister.

Cela ramène tout naturellement au traité phare d’Edward Bernays, le publicitaire austro-américain et neveu de Freud, Propaganda, paru en 1928, dans lequel il expose avec prescience que la persuasion passe par l’émotion et non par la rationalité des masses, comme l’écrit Flourez, lequel voit dans les pratiques d’influence dans le commerce et la politique l’avènement d’idéologies sui generis, sans socle doctrinal (tel qu’il y en a un dans les idéologies traditionnelles). « La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique, dit Bernays. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays. Nous sommes gouvernés pour une large part par des hommes dont nous ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous soufflent nos idées. » La main invisible d’Adam Smith, en version articulée.

La psychologie des foules permet-elle de contrôler et mobiliser les masses quand on veut, comme on veut, autant qu’on veut, sans qu’elles ne s’en rendent compte et de leur faire accepter des mesures qu’elles n’auraient jamais accepté autrement ? Le politologue Joseph Overton (1960-2003), auquel Flourez se réfère, a théorisé en cinq étapes la méthodologie afin d’y parvenir (1. De l’impensable au radical ; 2. Du radical à l’acceptable ; 3. De l’acceptable au raisonnable ; 4. Du raisonnable au populaire ; 5. Du populaire au politique). Sans juger de l’opportunité de modifier le comportement de masse, la crise du Covid n’a-t-elle pas démontré l’efficacité du procédé quant à agir sur les consciences afin de faire accepter l’impensable au plus grand nombre, quitte à dénigrer publiquement les récalcitrants ?

Savons-nous encore qui nous sommes ?

La thèse de Flourez est que la conscience humaine est en danger d’« externalisation », c’est-à-dire d’être imposée par des forces extérieures (le concept de religion positive chez Hegel) ou déléguée à de telles forces (l’idéologie consumériste, évoquée ci-avant, mais aussi les technologies numériques et l’hyperconnexion aux flux d’infos et aux réseaux sociaux) nous entraînant dans une dynamique de servitude inconsciente qui dicte ce que nous sommes, comment penser et comment nous comporter, sans que nous sachions trop d’où viennent les outils qui nous transmettent l’appréciation des autres et nous incitent à penser comme eux.

Est-il possible d’échapper à ce processus de conscientisation, à la servitude inconsciente ? En d’autres termes, puis-je encore penser, seul, contre le modèle dominant ? C’est précisément le rôle de la conscience dont Flourez insiste qu’elle n’est pas un simple produit de l’intelligence, ni de la culture, mais qu’elle est notre capacité propre d’être en rapport avec soi, avec autrui et avec le monde, tout en ayant la faculté d’évaluer ce rapport de manière critique. C’est dans cette conscience critique et le développement de nos compétences non cognitives, insiste-t-il encore, que réside notre dignité humaine et notre liberté. « La conscience critique part de l’intime et non pas d’une idéologie ou d’une situation sociale qui, s’imposant à nous, dit-il, nous obligerait à réagir pour être adapté. »

Notre conscience nous appartient, Bertrand Marie Flourez, 198 pages, VA Editions.

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L’image mise en avant de l’article principal a été générée par l’IA.

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1 commentaire

  1. Excellent sujet dont le résumé donne immédiatement l’envie de lire l’ouvrage.
    La servitude est-elle à ce point inconsciente dès lors que le besoin de sécurité semble légitime ?
    Comment jouir de nos consommations dans un monde qui nous apparait trop risqué ?
    Le progrès n’a-t-il pas but, également, de réduire les risques ?
    Quant à la servitude acceptée lors de la pandémie, il me semble clair que si un même évènement devait se reproduire, avec le même niveau de dangerosité (niveau qui était inconnu au début de la pandémie), l’adhésion aux mesures de protection serait moindre.

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