Article précédent L’agenda numérique de l’UE sonne le glas de la démocratie
Posted in À la une Europe Société

L’agenda numérique de l’UE sonne le glas de la démocratie

L’agenda numérique de l’UE sonne le glas de la démocratie Posted on 26 juillet 20251 Comment

Dans l’introduction au premier des trois tomes de son magistral traité Droit, législation et liberté, paru en 1973, le Prix Nobel d’économie Friedrich Hayek prédit l’effondrement de la démocratie, en proie aux « coalitions d’intérêts organisés, socialement influentes, et de leurs experts mercenaires », tandis que la fonction des corps représentatifs a cessé d’être de représenter l’opinion publique et est devenue de la « mobiliser » – c’est à dire de la manipuler.

« Tôt au tard, écrit Hayek, les gens découvriront que non seulement ils sont à la merci de nouvelles castes privilégiées, mais que la machinerie para-gouvernementale, excroissance nécessaire de l’État tutélaire, est en train de créer une impasse en empêchant la société d’effectuer les adaptations qui, dans un monde mouvant, sont indispensables pour maintenir le niveau de vie atteint, sans parler d’en atteindre un plus élevé. Il faudra probablement du temps avant que les gens n’admettent que les institutions qu’ils ont créées les ont mis dans une telle impasse. Mais il n’est probablement pas trop tôt pour commencer à réfléchir sur les moyens d’en sortir. »

Un demi-siècle plus tard, nous contemplons un exemple abouti d’usine à gaz post-démocratique, le produit type de ce que Hayek appelait le rationalisme constructiviste, dévoiement de la pensée des Lumières, l’Union européenne. Dans Democratie op de helling in het digitale tijdperk (Démocratie en déclin à l’ère numérique), le journaliste-essayiste néerlandais Arno Wellens (1978) en décrit les derniers contours en date au travers des incidences de la Digital Decade, l’agenda numérique de la Commission européenne pour la prochaine décennie, sur la démocratie et nos droits fondamentaux. « Les plans étaient prêts, a-t-il déclaré dans une interview au magazine flamand Doorbraak, la crise du coronavirus a été l’occasion de les faire avaler à la population sans débat public. »

Technologie et démocratie

Après des études en économie appliquée et des occupations dans le secteur privé, Wellens, converti au journalisme en 2007, s’est mis à analyser de manière critique les affaires financières, l’Europe et l’euro. Avec son essai, il souhaite sensibiliser le public aux dangers que comportent les ambitions numériques de l’Union européenne. « La numérisation peut avoir pour effet de remplacer ou de simplifier des procédures, en particulier dans le monde de l’entreprise. Elle présente l’opportunité de rendre la société dans son ensemble plus efficace et, ainsi, plus prospère et plus juste. »

« Mais, poursuit-il, lorsqu’une société dans son ensemble se digitalise, son essence démocratique se transforme considérablement. La pandémie et les confinements des années 2020 et 2021 en ont constitué un avant-goût. En théorie, avec des apps, les autorités peuvent mettre toute l’existence des citoyens sous l’éteignoir. Nous n’attachons guère d’importance en Europe aux conséquences pour la démocratie des possibilités technologiques. Mon livre a précisément pour objet d’initier le débat. »

Wellens part du constat que la Commission von der Leyen fait tout ce qu’elle peut pour s’attirer de plus en plus de pouvoir au détriment des parlements nationaux et que le problème réside en ce que les instances politiques européennes ne sont pas un modèle de démocratie. Le Parlement européen, expose-t-il, n’a pas le pouvoir de prendre des initiatives législatives, celui-ci échoit aux membres de la Commission, lesquels ne sont pas élus et ne sont au fond que de hauts fonctionnaires. En soi, la Commission n’a d’autre prérogative que de s’occuper de ce qui concerne le marché interne et le commerce. Tout le reste est du ressort des parlements nationaux en vertu du principe de subsidiarité.

Mme von der Leyen s’ingénie à étendre son pouvoir et à s’occuper de choses qui ne relèvent pas du domaine de la Commission mais de celui des parlements nationaux. Ce n’est pas l’effet du hasard mais la mise en oeuvre d’une étude réalisée par des fonctionnaires européens sous la conduite d’un certain Etienne Bassot et intitulée Unlocking the potential of the EU Treaties. An article-by-article analysis of the scope for action.

L’agenda numérique de l’UE

Wellens prend l’exemple du Digital Services Act (DSA), la législation européenne sur les services numériques supposée protéger les internautes européens contre les contenus illicites, dangereux et préjudiciables, en d’autres termes la désinformation et les propos haineux. En définitive, cela touche à la liberté d’opinion et d’expression, un droit fondamental qui est inscrit dans les constitutions de tous les Etats membres et dont la Commission va désormais se mêler. Von der Leyen donne un tour à la question qui lui permet de s’en accaparer, fait remarquer Wellens : les « services numériques » – comme les réseaux sociaux – génèrent des revenus, donc c’est du commerce, et leurs activités sont transfrontalières, donc cela relève du marché interne, et ainsi la Commission s’arroge le droit d’en régir le contenu alors que la lutte contre l’incitation à la haine et le racisme est de la compétence des Etats membres.

Il en va de même avec trois autres projets numériques de von der Leyen : Digital ID, Chat Control 2.0 et Central Bank Digital Currency (CBDC). L’identité digitale consiste à associer à un identifiant unique dans une base de données européenne tout ce que l’on sait d’un individu. Ne serait-ce qu’en raison des accès multiples qui devraient nécessairement être attribués à ladite base de données et de sa valeur marchande, il serait présomptueux de prétendre au contrôle absolu de l’usage que l’on en fera. Quand on sait que le WEF (le « Forum de Davos »), sous la férule de l’insupportablement fat Klaus Schwab à l’époque, avait préconisé la chose en 2020 dans un document intitulé Reimagining Digital Identity : A Strategic Imperative, on ne peut que redoubler de méfiance.

Chat Control 2.0, visant censément à combattre la pédophilie, ce à quoi chacun ne peut qu’adhérer à l’exception des pédophiles eux-mêmes, consiste à ce que chacun renonce à toute confidentialité de sa correspondance privée en ligne, sans que cela ne garantisse évidemment que la bureaucratie européenne luttera mieux contre la pédophilie que les polices nationales auxquelles cette tâche incombe.

Quant à la monnaie numérique de banque centrale, le but n’est pas de faciliter les transactions, les dispositifs de paiement existants y pourvoient déjà, mais d’exercer une mainmise sur votre épargne, accompagnée d’une interdiction de détenir plus de 3.000 € en cash. La plupart des pays européens sont surendettés et l’UE s’est mise elle-même à emprunter (sans que ce ne soit prévu par les traités) : tirez-en les conclusions. Il ne s’agit en tout cas pas des « adaptations indispensables dans un monde mouvant pour maintenir le niveau de vie atteint, voire l’améliorer » auxquelles Hayek faisait allusion dans Droit, législation et liberté…

* * *

Aidez Palingénésie à se faire connaître en transférant cet article à vos proches et amis. Merci d’avance pour votre précieux soutien.

* * *

Abonnez-vous gratuitement à Palingénésie Digest, un regard différent, critique, caustique et sarcastique sur l’état et la marche du monde. (Les deux blogs sont gérés de manière indépendante.)

Le dernier article en date publié sur Palingénésie Digest est à lire via le lien ci-dessous :

Pauvre presse écrite francophone belge

La faute aux autorités, aux plateformes numériques et à l’intelligence artificielle ?

* * *

Soutenez ce site. Achetez, lisez et offrez l’essai Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d’idées – L’Europe sous l’emprise de l’idéologie qui vient de paraître et est disponible, en version papier ou au format kindle, exclusivement sur Amazon.fr en suivant ce lien.

Si vous êtes libraire et souhaitez proposer le livre à vos clients et planifier une causerie sur le sujet, n’hésitez pas à contacter Palingénésie à l’adresse info@palingenesie.com.

Share and Enjoy !

Shares

Soyez averti de nos prochains articles

1 commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Shares