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Comment la science du bien-être peut nous sauver du désespoir

Comment la science du bien-être peut nous sauver du désespoir Posted on 16 décembre 20233 Commentaires

« Maintenant, je savais : les choses sont tout entières ce qu’elles paraissent – et derrière elles… il n’y a rien », fait dire Sartre à Roquentin dans La Nausée. Rien n’est que je ne vois ; rien d’autre n’existe que ce qui est là. Véronique Bourgninaud, dans Contre la détestation de l’Homme par l’Homme qui faisait l’objet du précédent épisode de cette chronique, voit là la source du désespoir et de l’angoisse de notre époque. Seule la foi, en ce qu’elle révélerait la cause et la finalité suprême de l’être, peut, dit-elle, nous préserver de verser dans les idéologies nihilistes et le matérialisme. N’en disconvenons pas pour ceux qui se sentent appelés. Mais qu’en est-il en ce qui concerne les autres ?

Carol Graham est économiste, professeur de politique publique à l’Université du Maryland et l’autrice de nombreux articles et ouvrages (dont le dernier The Power of Hope) sur le thème du bonheur, ou, du moins, du bien-être et de sa poursuite. On en mesure désormais plusieurs aspects : hédoniste (expérience immédiate et momentanée), évaluatif (sur le cours d’une existence), eudémonique (du point de vue du sens de l’existence). La question centrale est d’appréhender ce que l’on peut faire de ces connaissances. Peut-on redonner espoir à des individus et à des populations qui l’ont perdu ?

Ayant étudié le désespoir sous différents angles (économique, psychologique, médical, social, etc.), Carol Graham propose, comme y fait allusion Victoria Safford dans un article publié en 2004 dans The Nation, « de nous placer aux portes de l’espoir – non pas les portes prudentes de l’optimisme, qui sont un peu plus étroites, ni les portes robustes et ennuyeuses du bon sens, ni les portes criardes de la bien-pensance, qui grincent sur des gonds au bruit furieux, ni la porte joyeuse et fragile du jardin du « Tout ira bien ». »

Une question d’attitude face à l’avenir

Nos connaissances et la littérature sur les bienfaits de l’espoir sont peu étoffées, bien que la notion gagne du terrain que l’espoir présente des propriétés cognitives, émotionnelles et d’agent ayant un impact plus bénéfique sur l’attitude à l’égard de l’avenir que l’optimisme ou de simples aspirations et attentes. C’est d’autant plus important de le comprendre que le désespoir constitue une barrière à la revitalisation du marché du travail et à la productivité et nuit au bien-être, à la santé, à la longévité, aux familles, aux communautés et, finalement, à la sécurité. Il est estimé qu’aux Etats-Unis, de 2005 à 2019, 70.000 personnes en moyenne par an sont mortes de désespoir (suicides, overdoses, alcool et autres formes d’empoisonnement).

Le chômage y joue un rôle, a fortiori s’il est prolongé et dans la mesure où il est préjudiciable à la santé mentale et il est l’un des rares événements de la vie que l’on surmonte difficilement, plus en tout cas que même un divorce ou une perte de revenus. Les recherches révèlent aussi que ceux qui franchissent le mieux les obstacles de la vie sont ceux qui ont souffert de discriminations ou ont été considérés comme des outsiders. D’autres facteurs d’adaptation consistent en l’appartenance à une communauté de soutien et la disposition d’un mentor. Ces différents éléments expliqueraient le recul de la classe ouvrière blanche et la forte proportion de membres de celle-ci, en outre fort touchés par la crise des opioïdes, parmi les victimes du désespoir aux Etats-Unis. La pandémie est certes passée par là, mais le mal lui est antérieur. Le covid n’a fait qu’en amplifier et en accélérer la propagation.

Est-il possible d’insuffler l’espoir aux jeunes désemparés ? Carol Graham répond qu’il est malaisé de l’imaginer sauf « à parvenir à rétablir une forme de confiance dans l’avenir de notre société ainsi que dans la manière dont elle est gouvernée, dont les lois sont élaborées et dont la vérité est établie ». Or, redonner espoir aux populations défavorisées est indispensable pour leur permettre de surmonter leur condition et d’autant plus que bien-être et productivité vont de pair (et qu’il est admis que cette dernière jouera un rôle déterminant dans la croissance économique des prochaines décennies dans le monde occidental). La clé est de déférer aux individus la responsabilité de leur propre existence. La déclinaison des possibles est considérable.

The Power of Hope, How the Science of Well-Being Can Save Us from Despair, Carol Graham, 200 pages, Princeton University Books.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4118 du vendredi 15 décembre 2023.)

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3 commentaires

  1. Merci pour ce texte bien VRAI et il est exact que chacun doit être « responsable de sa propre existence ». J’ajouterai une vérité universelle trop peu connue: « Le bonheur appartient à celui qui en donne aux autres » (le Chat de Geluck, les psychiatres David Servan-Schreiber et Dirk de Wachter… et tant de personnes qui – tout simplement – s’intéressent aux autres et non à « moi,moi,moi »…..

    1. Chère Cindy, Le dictionnaire Le Robert, une référence pour la langue française, donne comme féminin du mot « auteur », le mot « autrice » (tout comme instituteur, institutrice; créateur, créatrice; etc.) Rien de « woke » à utiliser ce féminin lorsqu’il s’applique, comme dans ce cas-ci.

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