Pour anticiper le déroulement de la pandémie de Covid mieux que ne le firent les épidémiologistes à la télévision ou tel professeur maugréant à son bureau et se caressant inlassablement la barbichette, la lecture de trois ouvrages écrits en français semblait avisée (et le reste).
Ces trois ouvrages sont La Peste, le roman d’Albert Camus qui parut en 1947 et s’inspirerait autant, paraît-il, de la peste brune que de la peste noire, Le Hussard sur le toit, le roman d’aventures de Jean Giono qui parut en 1951 et raconte l’épopée d’un jeune aristocrate italien dans la Provence de la première moitié du XIXe siècle en proie au choléra et Ravage, le roman post-apocalyptique de René Barjavel qui parut en 1943 et décrit le chaos dans lequel sombre une société arrivée à maturité à la suite de la survenance soudaine d’une catastrophe.
La Peste est sans doute le plus réaliste, Le Hussard sur le toit, le plus éthéré, et Ravage comme récit d’anticipation n’est nullement déplacé : d’aucuns ne firent-ils pas le lien entre la pandémie de Covid et la « catastrophe climatique » qu’ils jugent « imminente » et méritant autant de milliards d’attention et d’angoisse collective que le satané coronavirus ?
De plus, dans sa dystopie de 1943, Barjavel affichait son pessimisme concernant l’usage que ferait l’Homme du progrès scientifique et de la technologie (les bombardements atomiques confirmeraient sa prescience deux ans plus tard) et il parlait déjà de la reconstruction d’une civilisation sur d’autres bases, un Great Reset en somme, une grande réinitialisation, si chère aux oints du World Economic Forum de Davos, avant la lettre.
Mais, à ce point de la crise sanitaire, le cours des événements nous a instruits de ce dont il s’agissait et il nous faut faire face à la crise toujours en cours et en préparer notre sortie. Un autre livre peut y aider, qui parut en 1946 et, à la mort de l’auteur en 1997, avait été vendu à 10 millions d’exemplaires et traduit dans 24 langues, témoignage fascinant et leçons de vie d’un homme exceptionnel au destin tragique, Viktor Emil Frankl.
Né en 1905, docteur en médecine et en philosophie, Viktor Frankl a été professeur de neurologie et de psychiatrie à l’école de médecine de l’université de Vienne. Il a aussi enseigné aux Etats-Unis, à Harvard et Stanford notamment, et 29 universités de par le monde lui décernèrent le titre de docteur honoris causa. Après Freud et Adler, dont il fut l’élève, il créa une troisième école de psychothérapie à Vienne, celle de la logothérapie (par extension du grec ancien dans lequel λόγος, parole, discours, signifie aussi raison). Découvrir un sens à sa vie grâce à la logothérapie en est le livre fondateur.
Un Dieu inconscient
Le sujet de sa thèse pour obtenir son doctorat de philosophie fut « Le Dieu inconscient ». Frankl fut déporté avec ses parents et sa femme en 1942 dans le camp de concentration de Theresienstadt. Ses parents y trouvèrent la mort ; sa femme mourut au camp de Bergen-Belsen ; il ne l’apprit qu’à sa sortie. Lui fut transféré le 19 octobre 1944 à Auschwitz.
Une seule chose comptait, écrit-il, se maintenir en vie et aider ses compagnons à en faire de même, encore fût-il parfois souhaitable, voire nécessaire, de retrouver son quant à soi. Nous avions tous été ou cru être des gens importants, raconte-il, nous avions perdu jusqu’à notre identité, étions devenus des non-êtres, des matricules (interchangeables, comme le montre une anecdote qu’il rapporte à propos d’un détenu qui échangea son matricule avec un autre détenu pour suivre son propre frère malade à une mort probable).
Le livre parut en 1946 en allemand sous le titre Trotzdem Ja zum Leben sagen. Ein Psychologe erlebt das Konzentrationslager. Le début du titre, « Néanmoins dire oui à la vie », est extrait du refrain du Buchenwaldlied, le chant du camp de concentration dont Fritz Löhner-Beda et Hermann Leopoldi qui l’ont composé étaient alors prisonniers. C’est moins à une description des ignominies et des horreurs innommables qui s’y sont produites qu’à une analyse des aspects psychologiques de la vie dans les camps de concentration que s’attache Viktor Frankl dans le livre et cette analyse fonde sa thérapie.
A notre sortie, nous réalisâmes combien nos existences avaient été le jouet du destin, relate-t-il, combien peu nous avions encore prise, mais, que l’on nous eut tout enlevé, à ceux, rares parmi nous, qui parvenaient à transcender leur sort, restait de décider de leur conduite et il cite Dostoïevski : « Je ne redoute qu’une chose, n’être pas digne de mes souffrances. » Puis, quelques pages plus loin, tant il lui paraît exister un rapport étroit entre l’état d’esprit d’une personne et son état d’immunité, il cite Nietzsche : « Celui qui a un « pourquoi« qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel « comment« . »
Vide existentiel et désespoir
L’absence d’une raison de vivre, la détresse, le désespoir, le sentiment de vide existentiel et d’ennui qui en résultent, ne sont pas une maladie mentale et ne se soigne pas à coups de tranquillisants, fait observer le Dr Frankl. Chaque personne doit faire face aux questions que lui pose son existence. De plus en plus de personnes qui consultent un psychiatre se seraient adressées jadis à un pasteur, à un prêtre, à un rabbin. La logothérapie et sa technique de l’intention paradoxale mise sur cette aptitude unique de l’être humain de pouvoir prendre de la distance par rapport à lui-même.
Reste, constate-t-il, que chaque époque connaît un épisode de névrose collective d’affirmation d’une forme de nihilisme et de négation de toute valeur humaine. Elle requiert une psychothérapie adaptée qui se tienne à l’écart des idéologies qui suscitent la névrose. Toute coïncidence avec les nihilismes contemporains n’est nullement fortuite. L’être humain a le choix de s’y conformer ou de s’y opposer, indépendamment des conditions biologiques, sociologiques, psychologiques et autres auxquelles il est soumis.
Nous façonnons notre vie à notre guise, à chaque moment, estime le Dr Frankl, à la seule condition que nous exercions notre liberté dans un esprit de responsabilité, car l’une et l’autre sont l’avers et le revers de la même médaille. On a moins d’estime, fait-il remarquer, pour un artiste de renom ou un grand savant que l’on en a pour celui qui affronte un sort difficile avec dignité. Il conclut son livre fondateur de la logothérapie avec cette formule qui clôture l’Ethique de Spinoza : « Tout ce qui est beau est difficile autant que rare. »
Et il prévient : « Depuis Auschwitz nous savons ce dont l’homme est capable. Et depuis Hiroshima, nous connaissons l’enjeu. »
Découvrir un sens à sa vie grâce à la logothérapie, Viktor Frankl, Editions J’ai Lu, 224 p.
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(Cet article sur la logothérapie a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4020 du mercredi 26 janvier 2022.)
C’est grâce à « Panoramix » que j’ai essayé de suggérer à des media non subventionnés, il y a 2 mois, que omicron serait peut-être le début de la fin de l’épidémie de covid-19. Silence total. Mais l’idée fait son chemin.
Celui qui se rend utile à son semblable et y trouve plaisir, n’éprouve pas le besoin de chercher un sens à sa vie.