Le livre Dettes publiques, un piège infernal cosigné par Bruno Colmant et Jennifer Nille et faisant l’objet d’une recension dans l’article précédent de ce blog nous a paru une excellente entrée en matière en ce qu’il posait de manière concise et précise cette problématique de la dette publique qui nous touche tous – passés, présents et à venir! Entre-temps, la Belgique a repassé par le haut le cap des 100% de PIB de dette nominale et quatre journalistes économiques français préconisent dans un nouvel ouvrage que l’on « casse cet euro made in Germany, destructeur de croissance et facteur de dumping social, pour sauver l’Europe ».
Comme souvent, le discours progressiste est empreint de relents réactionnaires. La recette serait de revenir aux bonnes vieilles monnaies nationales et implicitement d’en faciliter les dévaluations lorsque les Etats les moins bien gérés font le constat de l’échec de leurs politiques économiques et de la faillite de leurs systèmes de protection sociale. A moins de se retrancher à l’ombre du clocher de son village, une dévaluation ne constitue-t-elle pas, compte-tenu de l’hyper-mobilité de nos sociétés au niveau planétaire, une forme de dumping social en termes comparatifs? L’euro est-il et, s’il l’est, est-il seul responsable de la perte de croissance en Europe? L’Allemagne perdait-elle en compétitivité à la suite des ré-évaluations de fait du deutsche mark, son ancienne devise, qui, selon ceux qui proposent de casser l’euro, l’aurait fécondé?
Dans une étude publiée en décembre 2013 et réalisée en coopération avec l’Université de Fribourg-en-Brisgau, la Stiftung Marktwirtschaft, un centre de réflexion basé à Berlin, avait en quelque sorte quantifié la problématique exposée dans Dettes publiques, un pièce infernal. L’étude dont question analyse en effet les perspectives budgétaires à long terme des Etats membres de l’Union européenne (à l’exception de la Croatie, membre depuis le 1er juillet 2013) et les a consignées dans un tableau reproduit ci-dessous.
La Stiftung Marktwirtschaft relève elle aussi que la notion officielle de dette publique, en ce qu’elle se réfère au montant des emprunts du passé non encore remboursés et au déficit budgétaire courant devant être financé par de nouveaux emprunts, ne correspond qu’à une facette du problème. Cette notion ne tient pas compte des évolutions démographiques (longévité et vieillissement des populations) ni ne tient compte, par rapport à ces évolutions, des engagements pris pour le futur (retraites et soins de santé) et du montant des revenus futurs des Etats. En raison de la nature éphémère de leurs gouvernements voire de l’absence de vision et de sens de l’Etat de leur personnel politique, la plupart des Etats négligent de provisionner leurs engagements pour le futur de manière adéquate. Il en résulte un « écart de viabilité » correspondant au total des dettes accumulées dans le passé, du déficit budgétaire courant nécessitant d’être financé et de la dette implicite relative aux obligations futures non encore financées ni provisionnées.
L’écart de viabilité donne une indication de la capacité d’un Etat de soutenir ses politiques de dépenses, taxes et autres à long terme sans menacer sa solvabilité ni renoncer à ses promesses de dépenses futures (retraites et soins de santé). Sans grande surprise, la Belgique se range parmi les plus mauvais élèves de la classe, non seulement quant à sa dette nominale (plus de 100% du PIB) mais aussi quant à sa dette implicite, résultant en un écart de viabilité se chiffrant à 644% de son PIB! Ne serait-il pas temps que l’on se demande sérieusement comment l’on en est arrivé là et que le débat politique en vue des élections législatives du mois prochain en Belgique se focalise sur les vrais enjeux d’une manière véritablement sociale et responsable?