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L’idéologie « woke », machine de guerre contre la civilisation occidentale

L’idéologie « woke », machine de guerre contre la civilisation occidentale Posted on 3 juin 20231 Comment

Poursuivons la lecture, entamée dans les deux précédents articles de cette chronique (cf. L’université au défi des idéologies et De l’intersectionnalité des luttes dans l’idéologie « woke »), des actes du colloque « Après la déconstruction » qui s’est déroulé à la Sorbonne.

L’expression « civilisation occidentale », dans l’interprétation qu’en fait l’idéologie postcoloniale et décoloniale, consiste en un amalgame comportant la culture judéo-chrétienne, le néo-libéralisme, le capitalisme, le colonialisme, l’impérialisme, le sexisme, le racisme (et plus si affinités) permettant de diaboliser l’Occident ainsi que ses institutions, ses arts et lettres, « sa » science et d’une manière générale tout ce qu’il a produit et qu’il faudrait donc à présent « décoloniser » – « déconstruire ».

Parlant, dans sa contribution aux travaux du colloque à la Sorbonne, de la déconstruction comme d’« une machine de guerre contre la civilisation occidentale », le philosophe et historien des idées Pierre-André Taguieff, qui a publié une demi-douzaine d’essais sur la question, souligne que seule la civilisation occidentale est visée par cette entreprise de déconstruction et conclut qu’en toute logique il s’agit d’en finir avec la démocratie libérale occidentale sous prétexte que « phallogocentrée » les dominations et les discriminations s’y entrecroiseraient et s’y cumuleraient.

Les éradicateurs hespérophobes

Le déconstructionnisme, explique Taguieff, est un « projet de rupture totale avec le passé, de tabula rasa, de page blanche » (sans jeu de mots) et c’est à partir de cet effacement que doit s’écrire le récit d’une humanité nouvelle dans un monde nouveau, « désoccidentalisé ». La destruction de la langue par l’écriture inclusive fait partie du programme de « décivilisation vertuiste » et de « messianisme utopique » de ceux que Taguieff qualifie d’« éradicateurs héspérophobes » en quête de rédemption, dans la ligne de ce que John McWhorter, un professeur associé afro-américain de linguistique à la Columbia University aux Etats-Unis, a analysé dans son livre Woke Racism : How a New Religion Has Betrayed Black America.

Dans la tentative d’ethnocide (défini comme la destruction d’une civilisation) de l’Occident, Taguieff voit à l’oeuvre la bêtise spontanée, naïve, de groupies et celle, arrogante, de petits-maîtres vaniteux, intellectuels aux aguets, toujours prêts à s’engager pour la dernière « bonne cause », contre lesquels Valéry mettait déjà en garde en 1919 : « Le mal de prendre une hypallage pour une découverte, une métaphore pour une démonstration, un vomissement de mots pour un torrent de connaissances capitales, et soi-même pour un oracle, ce mal naît avec nous. » Plus ça change, plus c’est la même chose. Les charlatans sont de tous temps. Et après cette « dernière version historique du snobisme de masse » qu’est la déconstruction, qu’y a-t-il ? Rien ! C’est déconstruire pour déconstruire, assène Taguieff. Un acte nihiliste.

Le déconstructionnisme s’inscrit dans la continuité du concept marxiste de « dominant/dominé ». Mais il l’étend de la lutte des classes dans le domaine économique à de multiples autres aspects de la civilisation occidentale. Il amplifie l’idée de domination jusqu’à en faire une sorte d’état d’oppression généralisée, exercée par le genre masculin (sur les autres genres), la race blanche (sur les autres races), l’hétérosexualité (sur les autres types de sexualité), un état d’oppression sociale d’autant plus funeste qu’elle serait insidieuse. Pascal Perrineau, qui fut membre du PS français, est professeur émérite à Science Po et l’auteur notamment d’un Que Sais-Je ? sur le populisme, fait à juste titre remarquer que la figure du prolétaire est désormais suspecte car celui-ci pense de plus en plus « mal » et peut être mâle, blanc, hétérosexuel et éventuellement fier de l’être. L’extension du domaine des luttes permet de multiplier les figures victimaires.

Déconstruction contre démocratie

Ce faisant, la logique déconstructionniste s’oppose bien évidemment à toute forme d’individualisme (de liberté et de responsabilité individuelle) et à l’esprit de la démocratie (d’égalité entre citoyens et d’Etat de droit) et elle exacerbe le ressentiment que les uns éprouvent vis-à-vis des autres en raison des inégalités présupposées. Un ressentiment surmultiplié rend le vivre-ensemble démocratique de plus en plus difficile. « Asservis à nos identités et à nos aliénations, commente Pascal Perrineau, nous ne pouvons plus postuler que l’individu est libre. » Seul l’universalisme (républicain) nous y autorise.

La sociologue et politologue Dominique Schnapper, autrice de plusieurs ouvrages sur la démocratie et la citoyenneté, renchérit : la démocratie s’expose à trahir son propre projet, les sciences humaines et en particulier la sociologie y aidant, elles qui constituent une spécificité de l’ordre démocratique. Elles ont contribué à relativiser la rationalité des analyses en y introduisant le « d’où parles-tu ? » et fini par donner de la société occidentale l’image d’un « vaste complot ourdi par les puissants » avec à preuve de vérité l’absence de preuve. « Aujourd’hui, conclut la fille de Raymond et Suzanne Aron – bon sang ne saurait mentir -, qui fut directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et membre du Conseil constitutionnel français, ce sont le délitement intérieur de la société démocratique et la complaisance des démocrates envers ceux qui déclarent vouloir les détruire qui sont inquiétants. » Que le sens des mots soit détourné jusqu’à leur faire dire le contraire de ce qu’ils signifient ajoute à l’inquiétude. Orwell a averti que c’était là la marque du totalitarisme. (A suivre)

Après la déconstruction – L’université au défi des idéologies, ouvrage collectif sous la direction de Emmanuelle Hénin, Xavier-Laurent Salvador, Pierre-Henri Tavoillot, 528 pages, Odile Jacob.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4089 du mercredi 24 mai 2023.)

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1 commentaire

  1. Pourquoi diaboliser l’Occident? Mais par ENVIE, tout simplement, et je suggère à tous les lecteurs de Palingénésie la lecture de ce livre admirable de Helmut Schoeck, L’ Envie, qui a été présenté ici il y a un bon bout de temps.

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