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L’université au défi des idéologies

L’université au défi des idéologies Posted on 20 mai 20233 Commentaires

Odile Jacob a récemment publié les actes du colloque organisé à la Sorbonne les 7 et 8 janvier 2022 sur le thème « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture ». Une cinquantaine d’universitaires et d’intellectuels de premier plan, venus de toutes les disciplines, avaient bravé un déluge d’accusations et d’insultes (« colloque de la honte, fasciste, d’extrême droite, clownesque… ») pour alerter quant aux menaces pesant sur la liberté académique en raison des dérives idéologiques de l’université.

Dans l’avant-propos de ce livre publié sous le titre Après la déconstruction – L’université au défi des idéologies dont ils ont co-dirigé la rédaction, Emmanuelle Hénin, Xavier-Laurent Salvador, Pierre-Henri Tavoillot expliquent qu’ils sont partis d’un constat, à savoir que la déconstruction était dans une impasse car, censée participer à l’origine d’une démarche critique, elle s’était transformée en une doctrine confondant « recherche et militantisme, vérité et morale, science et idéologie » et tendant à devenir hégémonique au point de s’ériger comme seul prisme de savoir légitime, et souvent le seul à être subventionné dans l’université.

Cela aboutit bien sûr à disqualifier l’esprit de recherche, car comment une démarche qui postule ses conclusions avant même d’être entamée, qui interdit de s’interroger sur la validité de ses prémisses, s’en revendiquerait-elle ? Le déconstructionnisme à la sauce « woke » interprète le réel comme lieu de domination et d’oppression : des femmes (pas toutes les femmes, néanmoins…) par les hommes, du Sud par le Nord (occidental), des « racisés » par les Blancs, de la nature par la technique. Nous sommes loin de la vertu propédeutique de la déconstruction prônée par Paul Ricoeur en son temps, dès lors que le déconstructionnisme, dans une vision téléologique de sa démarche, entend désormais se suffire à lui-même.

L’idéologie « woke » est un totalitarisme

Un retour aux sources de la déconstruction fait constater que ce concept datant des années soixante (ce n’est pas anodin : pensez à ce qu’a été Mai 68 !) a été en partie dénaturé par le mouvement woke. Ce mouvement possède une dimension puritaine et morale à laquelle la déconstruction n’aspirait pas à l’origine, mais, pour le reste, le projet n’a pas changé : il s’agit de recycler le marxisme (qui déjà dans les années soixante avait perdu de son aura) et sa matrice de lecture « dominant/dominé » en remplaçant le prolétariat par les femmes, les minorités « racisées » et les minorités sexuelles.

L’idéologie woke est un totalitarisme : elle impose sa grille de lecture sur le réel, censure ceux qui la récusent et encourage à la délation. Elle s’immisce dans toutes les disciplines du savoir (l’histoire, la linguistique, la littérature et les arts, mais aussi les sciences dures, les mathématiques n’y échappent pas !). Elle est un danger pour l’université, la démocratie et la société, a fortiori lorsque l’UE et sa bureaucratie relaient cette théologie de la libération au travers des programmes de recherche qu’elles financent.

« Le but des décoloniaux : coloniser tous les territoires de la pensée » : c’est la légende du dessin de Xavier Gorce qui illustre le premier chapitre de l’ouvrage, un chapitre qui retrace la généalogie de la déconstruction. Pour Pierre-Henri Tavoillot, il s’agirait de comprendre comment nous en sommes arrivés à ce que l’esprit européen de réflexion et de critique tourne en secret désir d’autodestruction et une haine de soi. Le premier âge de la déconstruction n’était-il pas celui de la pensée moderne qui de Descartes à Kant avait pour projet de faire émerger les idées de raison et de vérité à côté – voire à l’encontre – des dogmes religieux ?

L’idéologie « woke » est un anti-humanisme

Tavoillot situe le deuxième âge de la déconstruction à Schopenhauer et Nietzsche, lesquels invitent à appliquer le travail de réflexion et de critique aux idées humaines, l’occasion, rétrospectivement, d’un premier dévoiement (avec Nietzsche, Freud, Marx et Heidegger). Vient ensuite l’âge de ce que Luc Ferry et Alain Renaut ont appelé la Pensée 68 et l’Anti-humanisme contemporain dans un essai publié en 1985, un âge popularisé à l’exportation sous l’A.C. French Theory parmi les protagonistes duquel figurent Foucault, Deleuze, Bourdieu et un certain Derrida dont toute la radicalité s’exprime dans sa condamnation de la civilisation occidentale « phallo-logo-centrée » – patriarcale, rationaliste et « centrée », en ce qu’elle viserait à imposer au monde entier ses idées de démocratie et de liberté. C’est à la suite de ce courant philosophique que s’inscrivent la pensée décoloniale et le « wokisme » avec pour concept central, l’intersectionnalité. Greta n’a rien inventé. Quand elle fait le lien entre la « crise climatique » et les « systèmes d’oppression coloniaux, racistes et patriarcaux », elle montre qu’elle a été à « bonne » école et qu’il y a des cours qu’elle n’a pas séchés. (A suivre)

Après la déconstruction – L’université au défi des idéologies, ouvrage collectif sous la direction de Emmanuelle Hénin, Xavier-Laurent Salvador, Pierre-Henri Tavoillot, 528 pages, Odile Jacob.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4087 du mercredi 10 mai 2023.)

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3 commentaires

  1. Dommage que nous n’ayons pas un état des lieux en ce qui concerne les universités (francophones) de Belgique. Ce sujet mériterait une étude universitaire approfondie. Un excellent sujet de thèse. Votre analyse, Thierry, mériterait d’être publiée dans La Libre.

  2. MERCI pour la présentation claire et précise de cette triste réalité! Mais comment lutter dans un monde totalitaire où l’enseignement a été détruit?

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