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La politique bétonnée

La politique bétonnée Posted on 6 décembre 2025Laisser un commentaire

« Notre époque est confrontée à des défis énormes. » Les précédentes ne l’étaient-elles pas déjà ? Nous sommes en crise de manière permanente : crise financière, crise sécuritaire, crise migratoire, crise climatique, pandémie, crise énergétique, crise budgétaire. La fin de ce que Quinten Jacobs, un jeune avocat constitutionnaliste et chroniqueur au journal économique et financier De Tijd, nomme, dans Het Betonnen Beleid, paru à la fin du mois d’octobre chez Ertsberg, une « polycrise » n’est pas en vue. Le sous-titre annonce l’explication : Waarom politici onze problemen niet kunnen oplossen.

Ce que ces défis ont en commun, expose-t-il, c’est que, pour le commun des mortels, il appartient aux politiciens d’y trouver la parade. Que cela concerne la perte du pouvoir d’achat de leurs concitoyens ou les menaces de guerre avec la Russie, « ils n’ont qu’à ». Le fait est que, en Belgique en tout cas et sans doute dans d’autres pays européens, ils n’ont souvent pas la possibilité de changer le cours des choses, quelles que soient leurs idées, même s’ils disposent d’une majorité démocratique au parlement.

La première raison en est, en Belgique, qu’elle est un petit pays à l’échelle du monde et est soumise à la bonne (?) volonté des grandes puissances. Une autre est que souvent les crises (économie, climat, migration, énergie, défense) ont une dimension globale et qu’il n’y a pas grand-chose que les politiciens flamands ou belges peuvent faire pour changer la donne, les facteurs en étant extérieurs. C’est bien malheureux pour les politiciens, mais aussi pour leurs concitoyens et pour la démocratie en général.

Une Belgique surréaliste et ingouvernable

Les élections y perdent beaucoup de sens, quoi qu’en disent les politologues qui évoquent le fameux fossé entre les citoyens et la politique ou parlent de particratie, d’émocratie, de démocratie théâtrale ou de démocratie-spectacle. Les partis radicaux anti-système n’éprouvent guère de difficultés à ramasser les voix. Les raisons fondamentales ne sont pas celles que l’on entend le plus souvent. Selon Jacobs, elles sont institutionnelles en premier lieu. Elles font partie intégrante du système lui-même et le résultat des élections ou un changement de mentalité n’y changent rien.

Les partis classiques doivent recréer un espace politique, dit-il, même si cela leur paraît contre-intuitif et s’ils s’ingénient à faire tout le contraire pour capter des votes à la marge de leur clientèle acquise. A long terme, relancer le vrai débat politique est la seule voie qui leur est offerte pour contrecarrer les extrêmes et retrouver leur raison d’être. Ce n’est pas de bétonner à outrance les réglementations et les institutions afin d’empêcher ceux qui leur succéderont au pouvoir, quand ils n’en font plus partie, de démonter ce qu’ils ont construit.

Le premier obstacle réside dans la structure de l’Etat belge. En seriez-vous étonné ? La Belgique est un pays surréaliste, devenu au fil du temps éminemment complexe. En témoigne l’article premier de sa Constitution : la Belgique est un Etat fédéral composé de communautés et de régions, chacune disposant de prérogatives qu’elles sont censées exercer de manière autonome alors que certaines et non des moindres (santé, énergie, mobilité) sont partagées entre différentes instances.

Des réalités politiques distinctes

C’est pourquoi d’aucuns plaident pour la constitution de gouvernements symétriques entre le niveau fédéral et les niveaux régional et communautaire. Mais, d’une part, c’est l’indication que le système fédéral belge ne fonctionne pas et, d’autre part, ce n’est pas toujours possible, à preuve la situation à Bruxelles où, un an et demi après les dernières élections, le gouvernement régional n’est toujours pas formé et restent en place ceux que l’électeur en avaient en principe chassés, les écolos notamment.

Qu’un électeur flamand ne puisse, en outre, pas voter pour un candidat wallon ou bruxellois et vice versa est un autre aspect du fédéralisme centrifuge à la belge, qui oblige des partis de communautés linguistiques différentes, vivant dans des réalités politiques distinctes (ne serait-ce que sur le plan de la presse et de la télé), à former ensemble après des élections en camps retranchés un gouvernement fédéral. Il est une autre particularité incongrue du système : l’Etat fédéral lève l’impôt et perçoit les cotisations sociales pour un total cité par Jacobs de 255 milliards d’euros qu’il redistribue aux entités fédérées (80 milliards) et avec lequel il finance la sécurité sociale (145 Mia) et la dette publique (10 Mia), le tout « bétonné ». Ne reste à l’Etat que 20 milliards pour faire face à ses dépenses primaires, alors qu’il doit en économiser autant et faire face au vieillissement de la population et à l’augmentation des dépenses pour la défense.

Autres facteurs de bétonnage politique

Le plan de relance « Next Generation EU », initié par la Commission européenne et validé par les Etats membres de l’UE en 2020, a constitué un changement paradigmatique. En effet, pour la première fois dans l’histoire de l’UE, ils ont emprunté ensemble des centaines de milliards d’euros. Ce fut l’occasion pour la Commission de bétonner non seulement la voie vers le fédéralisme, mais aussi sa politique de transition verte (Green Deal) et numérique car l’argent n’était disponible en grande partie que pour financer des projets qui sacrifiaient à ladite transition, i.e. à l’idéologie de la Commission. Jacobs parle de « policy through funding ».

La Commission utilise de surcroît les compétences qui lui ont été dévolues en ce qui concerne le marché interne pour s’attribuer des compétences qui ne lui ont pas été dévolues dans un tas d’autres domaines sous prétexte qu’ils influent peu ou prou sur le marché interne. C’est ce que l’on appelle du « competence creep ». Les mesures prises échappent à tout contrôle de la politique domestique des Etats membres et les résultats des élections nationales ou européennes ne peuvent rien y changer. Joseph Weiler, un professeur américain (Harvard, NYU Law), auteur de plusieurs ouvrages sur l’UE, l’a dit en termes fleuris : « l’électeur européen n’a pas la possibilité de se débarrasser des coquins ».

Un troisième aspect du bétonnage politique est l’extrapolation des droits de l’homme par les instances judiciaires bien au-delà de leur conception initiale et la consécration du principe de non régression (standstill). La place manque pour évoquer cet aspect retors de gouvernement des juges dans le détail. Il faut espérer, pour ceux qui ne lisent pas le néerlandais, que cet ouvrage de Quinten Jacobs, qui suggère aussi des solutions, soit traduit en français.

Het betonnen beleid, Waarom politici onze problemen niet kunnen oplossen, Quinten Jacobs, 224 p, Ertsberg.

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