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« La Roulette chinoise » : Argent, pouvoir, corruption et vengeance

« La Roulette chinoise » : Argent, pouvoir, corruption et vengeance Posted on 23 juillet 20221 Comment

Qui a eu l’occasion de rencontrer, en tête à tête et de préférence ailleurs qu’en Chine, un jeune cadre chinois en veine de confidences d’une entreprise de taille disons moyenne pour la Chine aujourd’hui (5 à 10 milliards de dollars US de chiffre d’affaires) se sera laissé dire « Vous n’avez pas idée de la corruption qui règne en Chine. Une entreprise ne peut exister si elle ne dispose d’un protecteur ! » et se sera dit in petto « Non, non, bien sûr, le système politique occidental est immun à la corruption et le capitalisme de connivence, ça n’arrive qu’aux autres… »

Eh bien ! La Roulette chinoise, « le livre que la Chine ne veut pas que vous lisiez » (selon CNN), vous fait entrer dans une tout autre dimension et perdre toute innocence quant à la nature du miracle économique chinois, à tout le moins comprendre la récente actualité financière et boursière.

Desmond Shum est né à Shanghai, en novembre 1968, dans une famille dont la branche paternelle appartenait à l’une des cinq catégories « noires » dans la nomenclature maoïste, en l’occurrence celle des propriétaires terriens. C’était avant 1949 et, n’appartenant pas à la descendance des dirigeants communistes qui s’étaient emparés du pouvoir en 1949, l’auteur n’était nullement prédestiné au rôle qu’il a tenu au coeur du système économique et politique chinois à l’aube du nouveau millénaire.

Le 5 septembre 2017, Duan Weihong, sa femme et sa partenaire en affaires pendant plus de dix ans, avec laquelle il avait, alors qu’ils avaient tous deux connu la pauvreté, réalisé leur rêve d’accomplir de grandes choses « en Chine et pour la Chine », avant qu’ils ne se séparent, dans la vie et dans les affaires, celle qui se faisait appeler Whitney Duan, cinquante ans (il n’apprendrait son âge réel que fortuitement peu avant leur séparation), disparaît. Ce jour-là, elle n’est pas rentrée de son travail et personne ne l’a revue depuis, ni deux cadres supérieurs et une assistante de son entreprise disparus au même moment.

Peu avant la disparition de Mme Duan, une amie était passée par son appartement à Pékin récupérer son fils Ariston afin de le ramener chez son père qui vit désormais en Angleterre et se demande si son ex-épouse avait eu la prémonition de ce qu’elle allait disparaître. Toujours est-il qu’au moment où son amie et son fils embarquèrent dans la voiture qui les amena à l’aéroport, elle leur avait lancé avec un sourire amer : « Je suis le corps qui l’a mise au monde ; à présent il va continuer son chemin sans moi. »

Greed is good…

Les réformes lancées en 1992 par Deng Xiaoping sous le mantra « Il est glorieux de s’enrichir ! » aboutirent à ce que la croissance eut doublé en 1997 et redoublé en 2004. Les histoires de pauvres ayant fait fortune, de millionnaires éclair et de champions de la finance foisonnaient. « Une énergie colossale, étouffée pendant des décennies, n’attendait que de se libérer », évoque l’auteur. Il raconte sa rencontre avec Jack Ma, à l’époque en quête de business angels pour Alibaba, qui s’était gaussé de lui : « Eh quoi ? Vous exigez un business plan pour 3 millions de dollars US alors que Goldman Sachs m’en offre cinq pour la simple idée ! »

Le régime communiste de planification et de contrôle avait de la peine à s’adapter aux mutations, les anciennes lois n’étaient plus adaptées, mais les nouvelles qui étaient édictées comportaient tant de zones grises que les autorités pouvaient cibler n’importe qui et le traduire en justice à n’importe quel moment. Jack Ma l’apprendrait à ses dépens. En Chine, rapporte Desmond Shum, les entrepreneurs ne réussissent que s’ils se plient aux intérêts du parti, à défaut de quoi ils risquent de passer sous ses fourches caudines.

Que ce soit un petit commerçant ou un grand génie de la hi-tech, chacun a besoin d’un parrain dans le système. Alors qu’un milliard et demi de Chinois vivent sous son joug, lui et sa femme Whitney y adhèrent. Elle incarne le zhongxue (l’éducation chinoise), lui le xixue (l’éducation occidentale dont il avait bénéficié grâce à ses études) ; elle dispose du guanxi (le réseau de relations interpersonnelles, il s’apercevrait tôt de son étendue), lui a le flair des affaires et le sens de l’action.

…or is it?

Après une sorte de voyage nuptial avant l’heure dans la station balnéaire de Banff au sud-ouest du Canada, Whitney insista pour qu’avant qu’ils n’officialisent leur union qui s’avéra en fin de compte plus pragmatique qu’intime émotionnellement, son futur époux rencontre « une amie très spéciale », Zhang Ayi, tante Zhang, suivant le surnom affectueux dont on désigne en Chine les anciens.

Zhang est un nom de famille courant en Chine, mais cette Mme Zhang, Zhang Beili, n’est vraiment pas n’importe qui. Elle est l’épouse de Wen Jiabao, à l’époque l’un des vice-Premiers ministres chinois, dont personne n’ignorait qu’il succéderait à Zhu Rongji à la fonction de Premier ministre et deviendrait en tant que chef du gouvernement le deuxième personnage le plus puissant du PCC, c’est à dire de l’Etat chinois.

Ensemble, ils prospérèrent, mais tandis que tante Zhang tenait les cordons de la bourse de son clan, c’était Whitney qui tenait ceux de la fortune de plusieurs milliards de dollars qu’elle avait bâti avec son mari et se servait de l’argent comme moyen de contrôle de leur relation. C’est d’ailleurs lorsqu’il s’aperçut qu’elle avait changé les serrures du coffre de leur entreprise qu’il se douta qu’elle mettrait bientôt fin à leur relation. Elle ne lui céda rien.

L’auteur attribue cette tendance à ne pas faire de quartier à une propriété du système communiste qui monte les Chinois les uns contre les autres, les persuade de ce qu’ils sont engagés dans une course de rats dans laquelle c’est chacun pour soi et seuls les meilleurs émergent, ne leur enseigne pas à coopérer. « On nous laisse entendre, écrit-il, que […] seuls les nuls souffrent de scrupules moraux. »

Un article paru le 26 octobre 2012 dans le New York Times lui fournit l’occasion d’y réfléchir : il étalait, avec les suites que l’on imagine, au vu et au su du monde entier, documents et registres à l’appui, la fortune de la famille de Wen Jiabao, estimée à près de 3 milliards de dollars, et rapportait le rôle de Duan Weihong. Desmond Shum a inscrit en exergue de sa Roulette chinoise cette maxime du lettré Fan Zhongyan (989-1052) dont il s’est inspiré pour justifier son livre : « Mieux vaut parler et mourir que se taire et vivre. »

La Roulette chinoise, Argent, pouvoir, corruption et vengeance dans la Chine d’aujourd’hui, Desmond Shum, 268 pages, Editions Saint-Simon.

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(Cette recension de La Roulette chinoise a été publiée dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4044 du mercredi 13 juillet 2022.)

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1 commentaire

  1. Très intéressant! MERCI… mais quant à sasoir où la corruption est la pire… peut-être faudrait-il savoir où les gens sont les plus hypocrites?

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