« Un chef, ça ne court pas ! » Ce fut, écrit François Bert, dans Le discernement, l’une des premières phrases qu’il a entendues en tant qu’officier parachutiste à la Légion étrangère. Si le chef se met à courir, ce qu’il récolte c’est la panique. L’état d’agitation générale de nos sociétés requiert, pour y résister, un retour au rythme de la vie réelle et du discernement.
C’est la faute à Descartes et à son « je pense, donc je suis » (et, avant lui, à Platon et, après lui, à Hegel). Non seulement ils ont fait de l’idéologie un substitut à la réalité, mais ils ont aussi fait dévier la pensée de l’axe du temps. Au fait, qu’est-ce que la réalité ? François Bert en propose trois règles. Premièrement : « on commande à la nature en lui obéissant » (il ne s’agit pas ici de porter Gaïa au pinacle, mais simplement de tenir compte, par exemple, de la loi de la gravité, Icare l’a ignoré à ses dépens). Deuxièmement : « créer, ce n’est pas inventer ce qui n’existe pas, c’est écouter l’évidence cachée derrière ce qui existe déjà » (Newton n’a pas « inventé » la gravité, sa réalité en a préexisté l’énoncé). Troisièmement : « ce qui est juste dans l’ordre de la pensée, c’est ce qui est complet ; ce qui est juste dans l’ordre de l’action, c’est ce qui est simple » (c’est « passer de la carte au voyage », des multiples possibles au chemin à suivre).
Ignorer ces trois règles condamne à s’égarer. C’est en grande partie ce qui explique l’état dans lequel se trouve la vie politique. Hauteur de vue, indépendance, silence propice à la réflexion et temps donné au temps l’ont cédé à la communication et à la loi de circonstance. François Bert parle d’un « refuge irrésistible et addictif » pour le personnel politique sous la pression des médias, eux-mêmes soumis à la sensation (dans tous les sens du terme). Or, il faut vivre au contact des gens et des événements pour comprendre que « rien n’est acquis, rien n’est facile, rien n’est tout blanc » et que les réalisations valent bien mieux que les déclarations. De plus, si la légitimité de l’Etat repose sur la prospérité, la justice et l’épanouissement culturel et spirituel, il est coupable pour ses dirigeants de se disperser ailleurs. Le souci de l’image et une communication fébrile, par simple besoin d’exister, agissent à contretemps. Exister par l’image est ce qui engendre la dispersion.
Le discernement, c’est autre chose. François Bert le définit par « l’art de donner aux choses la portée qu’elles méritent ». Cet art confère à celui qui l’exerce l’autorité qui permet d’atteindre les objectifs. Les faits sont juges et le plus souvent ils désavouent les grands sachants et les beaux parleurs, trop sûrs d’eux-mêmes ou impatients pour accumuler l’écoute jusqu’à ce que la décision à prendre – hic et nunc – s’impose comme une évidence. François Bert paraphrase la chanson de Renaud : « Ce n’est pas l’homme qui prend la décision, c’est la décision qui prend l’homme. » Cette évidence n’est ni certitude, ni raisonnement, ni consensus, ni fantasme. Beaucoup confondent ces artéfacts du savoir, de l’esprit, de l’entre-soi et de l’imagination avec la réalité.
La médiocrité du politique relève toutefois aussi d’une erreur de casting. François Bert identifie trois moteurs de personnalité : le cérébral, le relationnel et le décisionnel. Nous sommes tous prophètes, prêtres et rois mais un aspect prévaut toujours sur les deux autres. Ils ne sont pas interchangeables. « Savoir, écrit François Bert, ne veut pas dire faire, encore moins tenir dans la durée. » Les « prophètes » équipés d’un moteur cérébral croient pouvoir mettre le contexte en phase avec leurs convictions. Ceux dont le moteur est relationnel, les « prêtres » dans la triade, ont en politique des opinions fluctuant en fonction des attentes de leur public : ils visent à l’adhésion. Seul le leader décisionnel – le « roi » – se libère des carcans de l’esprit et de l’émotion et se concentre sur l’objectif. Que le monde européen traverse une crise existentielle n’est pas un problème de connaissance, d’information ou de communication, toutes surabondantes, mais d’aptitude à la clairvoyance. « La démocratie, très dépendante des moyens d’accéder au pouvoir, écrit François Bert, fait advenir majoritairement des mauvais profils, brillants dans la vente ou l’expertise, mais naturellement non disposés au discernement. »
Le discernement, A l’usage de ceux qui croient qu’être intelligent suffit pour décider, François Bert, 168 p, Artège.
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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4108 du vendredi 6 octobre 2023.)
MERCI! J’aime spécialement la dernière phrase….