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Libre comme Robinson (Luc Dellisse)

Libre comme Robinson (Luc Dellisse) Posted on 15 avril 20231 Comment

Quand votre tailleur s’est trouvé un cousin longtemps ignoré, écrivain, vous prête deux de ses livres et vous découvrez qu’il est académicien (ayant succédé à Jacques De Decker à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique ; l’investiture officielle eut lieu le 29 octobre 2022), cela confère à votre chronique un tour plus littéraire que d’habitude, toutes proportions gardées. N’est pas Robert Poulet qui veut et chassez le naturel, il revient au galop, dit le proverbe, alexandrin classique, avec la césure à l’hémistiche, que l’on doit à Destouches (non pas Louis-Ferdinand, mais Philippe Néricault, 1680-1754) et palimpseste inspiré d’Horace (Naturam expelles furca, tamen usque recurret).

En exergue de son Petit traité de vie privée, le sous-titre de Libre comme Robinson, Luc Dellisse cite Voltaire (1694-1778) : « Je ne connais d’autre liberté que celle de ne dépendre de personne ; c’est celle où je suis parvenu après l’avoir cherchée toute ma vie. » Nous voilà d’emblée dans le vif du sujet. C’est que le monde change tout autour de nous, du tout au tout, moeurs, langue, machines, et, si « la sagesse humaine le dit depuis trois mille ans, […] c’est ne rien savoir que de croire que le neuf est nouveau », il est, selon lui, un phénomène inédit, c’est que, dans les années quatre-vingts du siècle dernier, nous sommes entrés dans l’ère d’un monde fini.

Monde d’hier

Qu’il en soit ainsi ou autrement relève certes de la conjecture – encore qu’à force de devoir extraire des métaux rares pour construire des champs d’éoliennes, des fermes solaires, des véhicules électriques et des batteries, elle ne puisse pas être écartée. Toujours est-il que le monde des années quatre-vingts, d’ardeur et de vigueur, de liberté et de créativité, un monde où l’espace privé était préservé, est révolu et en voie d’être remplacé par une ère de transparence et de contrôle intégraux. Nous reste, face à la faculté de tout collectivisme de nous en priver, à trouver le bonheur, « sans lequel on empoisonne sa vie et celle des autres ».

Il ne s’agit pas de liberté philosophique, qui peut s’exercer jusque dans les chaînes, mais de liberté pratique, celle de vivre, c’est à dire penser, parler, écrire, aimer, exister sans qu’il n’y ait qui ou quoi que ce soit qui vous impose comment, or cette liberté-là, constate Luc Dellisse, a par rapport à la fin des années 1980 considérablement régressé et les moyens de la restreindre et de nous surveiller ont infailliblement augmenté.

« Il n’y a peut-être pas d’attaque concertée, concède-t-il, mais il y a un mouvement d’ensemble » : tout converge à réorganiser le monde en ruche planétaire. Ce n’est plus Orwell, c’est Philip K. Dick, dont on a pu croire qu’il était un auteur de science-fiction mais dont le monde finit par augurer de celui vers lequel nous évoluons. Il tourne au seul bénéfice de la « machine folle » ; le système cesse de répondre aux besoins de ses utilisateurs externes (consommateurs, citoyens) et ne pourvoit plus qu’à sa propre logique interne sans égard pour le bien-être des individus auxquels il s’adresse.

Monde d’aujourd’hui

Il faudrait qu’un processus à vocation collective – organisation, modèle, … – puisse être arrêté à tout instant par ses usagers s’ils le jugent nuisible, or, fait observer Luc Dellisse, cela ne se verra jamais : les institutions (administrations, tribunaux, banques, …), s’appropriant la notion de l’intérêt général, cherchent à se protéger et à protéger la société contre les individus. Quand bien même ceux-ci se contentent de vaquer paisiblement à leurs besognes personnelles, ils restent soumis à « une logique dominante, qui ne les concerne pas mais qui s’occupe d’eux ». C’est d’ailleurs la raison de s’attaquer à la propriété privée : elle est, dans toute culture, un élément-clé de l’individualité.

« L’idée, écrit Luc Dellisse, que les intéressés raisonnaient mieux et plus utilement que les maîtres de l’heure, qui devrait être une évidence, a été entièrement retournée. » Participe de la même idée la dépossession de l’épargne via l’impôt (et, bien sûr, d’autres mesures de répression financière, telles que l’assouplissement quantitatif et l’inflation subséquente), une épargne à défaut de laquelle tous plongeront dans la dépendance matérielle jusqu’à la fin de leur existence. « On ne peut douter que le système sait ce qu’il fait en pratiquant la ponction gigogne à l’infini. » Ne serait-il pas équitable que l’argent taxé non dépensé soit libre de tout droit de suite, suggère Luc Dellisse, fût-il placé dans un fonds indiciel-monde sur un compte-titres d’une banque en ligne ?

Luc Dellisse dit vivre de manière écologiquement responsable (serait-il académicien s’il en avait été autrement ?), être citadin (adieu Horace, bonjour la ruche), ne pas détenir de véhicule automoteur (prenez-en de la graine, M. Hulot) et, pour le reste, vivre d’amour (un grand thème pour lui et celui du second livre dont question ci-dessus, L’Amour et puis rien, aux éditions de L’herbe qui tremble), d’air (il marche beaucoup) et d’eau (pour peu qu’elle ait percolé et donné un café de qualité). Il dédie son Robinson comme une « libation au bonheur » à tous ceux qui entendent échapper aux idéologies de soumission et de repentance et prendre toute leur part de liberté avec pour seule limite le respect d’autrui. La possibilité d’une île, comme qui dirait. Cela vaut le voyage. Suivez le guide.

Libre comme Robinson, Petit traité de vie privée, Luc Dellisse, 212 p, Les Impressions Nouvelles.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4082 du mercredi 5 avril 2023.)

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1 commentaire

  1. Trouver le bonheur? Encore faut-il en être capable et tout le monde ne l’est pas! (cfr We are our Brains de Dick Swaab). Il me semble même que, pour beaucoup d’humains, l’époque où cette question ne se posait pas, où tout le monde connaissait la NECESSITAS (qui n’existe plus), les humains en général étaient plus heureux que maintenant….

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