« Foutez la paix aux gens, laissez-les vivre et, vous verrez, tout ira beaucoup mieux », avait proféré un Premier ministre et futur Président de la République française, Georges Pompidou, à l’un de ses jeunes collaborateurs, un certain Chirac, qui lui soumettait un énième décret à signer. Encore faut-il, sauf à ce que la religion ne s’en mêle ou que des dogmes ne leur soient prescrits par une quelconque autorité, que les gens se conforment spontanément à une certaine éthique, à des modalités de vivre-ensemble qui vont de soi. C’est le rôle de ce qu’il est convenu d’appeler la sagesse populaire, une sagesse pratique qui se fonde sur la conscience de soi, des autres et du monde et se mesure par ses vertus de discernement et de tempérance, plus proche de la phronèsis de l’Antiquité grecque que de la sophia théorique, l’une n’excluant bien sûr pas l’autre et leur conjonction constituant même aux yeux de certains sages le summum précisément de la sagesse.
Dans son recueil Proverbes et sagesse populaire calabrais dont la couverture est illustrée d’un portrait de ses grands-parents maternels prenant la pose avec leurs deux filles dont sa maman, Samuele Furfari (à prononcer ‘Four-fa-ri‘, avec l’accent sur la première syllabe car le nom est un sdrucciolo, en français un proparoxyton, un mot accentué sur l’antépénultième syllabe), l’ami et confrère, docteur en sciences appliquées et géopolitologue de l’énergie, fait œuvre de biographe, d’historien, d’ethnologue et de philosophe. Les Calabrais ont ceci de particulier, nous apprend-il, qu’ils ponctuent leurs propos, comme pour en souligner la pertinence, de proverbes et d’adages ayant forme de vérités populaires. Ceux qui comme ses parents ont émigré dans le Pays Noir à la fin des années 1940 conservèrent cette coutume dès lors qu’ils vivaient en communauté et continuaient à parler le calabrais en famille et entre eux, l’un des dialectes calabrais, car ce parler est riche en influences extérieures (normandes, arabes, latines) variant selon les endroits où il se parle.
Parler est un art léger
Nombre des adages cités par Samuele Furfari évoqueront le souvenir de situations ou circonstances familiales, sociales, professionnelles, auxquelles ses lecteurs auront eux-mêmes été confrontés dans le cours de leur existence. Dans l’esprit de l’introduction de cet article et de ce que devrait inspirer la sagesse populaire dans le comportement de tout un chacun, il est une maxime qui paraît valoir toute autre, « celui qui change le vieux chemin pour un nouveau sait ce qu’il laisse, mais ne sait pas ce qu’il trouve ». Certes, « le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point », selon l’aphorisme extrait des Pensées de Pascal, et, tant que l’aveuglement préside à une relation d’ordre personnel, seules les personnes directement concernées en sont affectées. Mais, c’est toute autre chose quand l’aveuglement de quelques-uns – la « dé-raison », l’absence de discernement – se transforme en une idéologie qu’ils cherchent à imposer au plus grand nombre à des fins qui ne relèvent pas de l’intérêt général, quoi qu’ils prétendent, et, au mieux, du leur. « La bouche est une grande richesse. »
L’histoire regorge d’exemples de vieux chemins dont on s’est imprudemment écarté sans savoir où menait le nouveau sur lequel on s’est fait entraîner. Et, s’applique alors cet autre adage calabrais cité par Samuele Furfari, à ceux qui se sont laissé entraîner et non à ceux qui les ont entraînés : « qui ne pense pas d’abord, soupire ensuite ». Cela rappelle cette sentence d’une chroniqueuse à la télévision belge : « La prochaine fois que vous allez voter, réfléchissez ! » Le propos ne fut pas du goût de la chaîne, qui n’accepta pas que « qui raconte y ajoute une pincée » et la vira. « La meilleure parole est-elle celle que l’on ne dit pas », comme le veut un autre adage calabrais ? Il trouve son équivalent en français dans la formule (fort à propos dans le cas de l’incident dont question) : « Le silence est d’or, la parole est d’argent. » De fait, « parler est un art léger », la chroniqueuse l’a payé au grand comptant. « Qui la tire [la corde], la rompt. » Comme en avertit Nassim Nicholas Taleb dans Skin in the game, avant de jouer votre peau, tenez compte des asymétries cachées de l’existence.
Voir et faire
Conseils de vieux ? « Les anciens ont vu les faits et laissé les mots derrière » et, en même temps, ce grand farceur de Jean-Jacques Rousseau qui wokiste avant l’heure proposait dans son Discours sur l’origine de l’inégalité de « commencer par écarter tous les faits ». Que dans une société comme la nôtre qui, par nostalgie ou désabusement, sanctifie la jeunesse, celle-ci se croit investie de science infuse tout en faisant l’école buissonnière, ne peut pas faire oublier qu’à l’âge de l’ubiquité et de l’instantanéité les réseaux sociaux offrent décidément aux ratiocinations du premier imbécile venu la même portée qu’au discours d’un prix Nobel. Dans cet ordre d’idées, l’adage « de ce que tu entends, ne crois rien ; de ce que tu vois, ne crois que la moitié » vaut son pesant d’or et sans doute convient-il de « laisser faire le temps qui est maître du temps ». Un autre président de la République française que celui évoqué au début de cet article en avait fait sa règle de conduite. Il fut le seul de la Cinquième république à accomplir deux septennats en entier.
Pour combattre le nihilisme ambiant (cf. Nietzsche), « videndu e facendu », le pendant calabrais en quelque sorte du « wait and see », fait office de règle d’or. « Voir et faire ». Et lire Furfari.
Proverbes et sagesse populaire calabrais, Samuele Furfari, 244 pages, disponible sur Amazon.
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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4102 du mercredi 23 août 2023.)
GRAND MERCI pour cette présentation de livre intéressant, vrai… utile!