Le Centre Jean Gol avait convié ses sympathisants à écouter Gaspard Koenig vendredi dernier au siège du MR sur le thème « La simplicité est-elle une valeur libérale ? » avec la participation du président du parti, de Laura Hidalgo, présidente des Jeunes MR, et du directeur scientifique de son laboratoire d’idées, le philosophe Corentin de Salle. Ce serait, promit-on, l’occasion de jeter « un regard libéral sur ce qui nous aliène et nous enferme ». Beau programme, l’assistance, nombreuse, ne s’y trompa pas.
Né à Neuilly-sur-Seine en décembre 1982 (39 ans) de parents écrivains de gauche soixante-huitarde athée, Gaspard Koenig a d’abord milité dans une cellule communiste (terroir fertile, le jeune Jean Gol ne se revendiqua-t-il pas un temps lui aussi du marxisme ?) avant de répudier « la rhétorique néofoucaldienne, répétitive et coupée du monde », de se convertir à une vision plus anglo-saxonne et de fonder GenerationLibre, une association qui a pour but non lucratif de « défendre les libertés, toutes les libertés » et de « réinventer le libéralisme au XXIe siècle ».
Sur les traces de Montaigne
Philosophe, essayiste, romancier, Gaspard Koenig, dont le look à la Ted Kennedy lui valut un rôle de figurant dans un biopic sur Jackie, enseignant de philosophie à l’université, ancienne plume de Christine Lagarde au ministère de l’Economie, passé par la BERD, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, à Londres, est l’auteur d’un parcours à rebonds – sans que cela ne préjuge de ses aptitudes de cavalier, lui qui passa 2500 km « le cul sur la selle », sur les traces de Michel de Montaigne (lequel accomplit le trip en 1580), en France, en Allemagne et en Italie.
« J’étais frappé, confia-t-il au Point, par cette obsession, d’une part, d’effacer le passé et, d’autre part, de construire un univers totalement prévisible. Le voyage à cheval réhabilite un ancien moyen de transport. Il réintroduit le hasard et l’inattendu dans le voyage. Et, à une époque obsédée par l’efficience, il permet de retrouver le rythme lent de la pensée, afin d’atteindre une forme de liberté intérieure, [et] de voyager sans traces ou presque, de manière à la fois anonyme, économe et à l’abri des grèves… » Haro sur l’AI haïe, et non sur le baudet (en l’occurrence, une jument), écologique.
En mai 2021, Gaspard Koenig lança le mouvement politique Simple. L’idée lui en est venue, dit-il lors de la discussion au Centre Jean Gol, au cours de son périple à cheval : il constata que ses hôtes se plaignaient de manière récurrente du poids des normes et de la complexité bureaucratique. Point n’est besoin, direz-vous non sans raison, de chevaucher des mois durant pour s’en rendre compte. Il eût suffi d’interroger l’artisan, l’agriculteur, le médecin, le chef de PME le plus proche. Mais encore.
La multiplication des possibles
Ses pérégrinations avec Destinada, sa jument, lui auraient permis d’expérimenter un « communisme de tous les jours » (décidément), idée que lui ont peut-être inspirée ses lectures de l’anthropologue David Graeber, théoricien de la pensée libertaire américaine et figure du mouvement anarchiste Occupy Wall Street. Toujours est-il que Gaspard Koenig, dont le voyage à cheval a été financé par crowd funding et qui a développé un partenariat avec le Point, redoute que l’intelligence artificielle ne phagocyte le libre-arbitre, et/mais il s’oppose à la multiplication des possibles et au néolibéralisme.
Sa méthode, lit-on à son sujet, est fondée sur les allers-retours entre la théorie et la pratique. « Il a des ambitions contradictoires qui ne font pas forcément bon ménage », dit un ami dans Libération. Est-ce là la raison de son échec à promouvoir sa conception du libéralisme à l’élection présidentielle française de 2022 ou les Français sont-ils irréductiblement réfractaires au libéralisme ? La question lui a été posée par le président du MR et un membre de l’assistance à la soirée au Centre Jean Gol.
La réponse n’a pas paru évidente, mettant en cause le régime de personnalisation et de centralisation du pouvoir de la Ve République et invoquant le fait que le Général de Gaulle qui l’a instaurée n’était pas ce que l’on appelle un homme politique libéral – à moins que l’explication ne soit simplement que les Français sont las des arguties politiciennes de ceux que Gaspard Koenig lui-même qualifia de « mecs trop mauvais » ?
Georges-Louis Bouchez, le président du MR, libéral et fier de l’être, dont le laïus de clôture plein de spontanéité et d’enthousiasme juvénile (c’étaient les Jeunes MR qui invitaient) fut applaudi avec autant de spontanéité et d’enthousiasme par l’assemblée de tous âges et de tous horizons, semble lui, en tout cas, se remémorer l’admonestation du futur bon Président Pompidou, alors Premier ministre, à un jeune chargé de mission à Matignon, un certain Chirac : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays ! ».
Trêve de zemblanité ! Place à la sérendipité ! Simple est libéral, il suffit de s’en souvenir.
Gaspard Koenig (au centre sur la photo, entre Georges-Louis Bouchez, à droite, et l’auteur de cet article, à gauche) est notamment l’auteur de Notre vagabonde liberté : À cheval sur les traces de Montaigne (2021) et de La Fin de l’individu (Voyage d’un philosophe au pays de l’intelligence artificielle) (2019).
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(Cet article a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN de cette semaine, le n° 4036 daté du mercredi 18 mai 2022.)
MERCI pour ce texte intéressant, réaliste!
On dit régulièrement que l’intelligence artificielle pourrait phagocyter le libre-arbitre. Ma réponse est claire: pas besoin d’intelligence artificielle, les médias font très bien le boulot! J’observe littéralement partout que la télé sait tout, qu’il y a consensus et donc… pas besoin de réfléchir, pas besoin de libre-arbitre.
OUI, les « mecs trop mauvais » sont au pouvoir, les médias font le nécessaire et je précise que nous n’avons pas la télé.