Sa biographie mentionne qu’il est le fils d’un résistant communiste de la Seconde Guerre mondiale et qu’il s’est lui-même engagé au Parti communiste français dont il s’est ensuite écarté, « dégoûté par le totalitarisme soviétique ».
Professeur de philosophie à la retraite, il vit avec sa femme, la fille de maraîchers vietnamiens, dans une ferme des Landes, où le couple tente de vivre en autosuffisance en produisant sa consommation alimentaire. Il voit la chose comme une « démarche politique ». Connu comme étant un spécialiste de l’oeuvre de George Orwell, il lui emprunte pour se définir la notion d’« anarchiste conservateur ».
Ce n’est pas de la part d’une personne avec ce profil que vous vous attendriez a priori à lire un essai pertinent sur la civilisation libérale et, pourtant, dans L’empire du moindre mal, Jean-Claude Michéa y est parvenu avec maestria, sans ne rien concéder, ni jamais, que votre serviteur ne se souvienne, faire précéder le mot « libéral » et ses dérivés du préfixe « néo- » qui en altère le sens et la portée.
La folie des hommes, que Jean-Claude Michéa évoque d’entrée, réside dans leur prétention à détenir la Vérité sur le Bien, de s’en prévaloir pour assurer le salut de leurs semblables, de s’en flatter et d’en tirer gloire, et partant de servir leurs propres intérêts. Cette posture se heurte aux piliers de la pensée post-moderne, il l’indique, celle du soupçon (le déconstructionnisme) et le relativisme culturel, à savoir l’évidence que le Vrai, le Bien et le Beau sont affaire de circonstances, d’habitude et de goût.
Le Juste et le Bien
Il y a là nécessité de considérer les hommes non tels qu’ils devraient être, mais tels qu’ils sont. C’est ainsi que le conçoit le projet libéral d’une société dont le Pouvoir chargé de l’organiser est neutre et laisse à chacun la liberté d’accomplir son devoir et de chercher son bonheur selon ses conceptions personnelles de l’un et de l’autre ; une société dans laquelle le Juste prévaut sur le Bien, Juste formel fait de poids et contrepoids et non Juste moral rattaché à une quelconque métaphysique normative, la poursuite du Bien (et du Bonheur) étant laissé à la discrétion des efforts et des mérites de chacun.
Une théorie libérale de la Justice ne consiste pas à dicter aux hommes la meilleure manière de vivre. Elle se contente de définir les conditions les plus adéquates qui leur permettent de vivre les uns avec les autres en paix et à chacun d’exercer ses talents comme bon lui semble pour autant qu’il ne nuise pas à autrui. « On peut donc dire, résume Jean-Claude Michéa, que, pour les libéraux, l’Etat le plus juste – celui qui, sur tous les plans, nous en demande le moins –, c’est l’Etat qui ne pense pas. »
Appartiendrait-il donc à une convention abstraite tel que l’Etat de penser par elle-même et, dans le cas contraire, nous faudrait-il craindre l’avènement d’un peuple de démons ? Si on pousse la logique libérale au bout du bout, affirme Jean-Claude Michéa, ce risque existe.
L’idée de Jean-Claude Michéa dans son essai sur la civilisation libérale est de faire ressortir que le libéralisme philosophique part d’une matrice à double entrée, l’une politique, l’autre économique, et que l’on peut emprunter indifféremment l’une ou l’autre pour le comprendre, mais qu’elles restent indissociables. En toute logique – puisque la pensée libérale s’est construite aux XVIIe et XVIIIe siècles sous l’impulsion des philosophes des Lumières en réaction contre l’absolutisme politique légitimé par des conceptions religieuses –, il a choisi de l’aborder par son côté politique.
Le Droit et le Marché
Il n’en reste pas moins que la dynamique libérale s’appuie sur les structures impersonnelles tant du Droit que du Marché, car c’est aux mécanismes du Marché que le libéralisme délègue de résoudre les apories de son Droit, dès lors que sa théorie constitutive d’équilibres, de poids et de contrepoids, ne fait pas appel à la Vertu de ses sujets (ni à une Vérité révélée du Bien) mais incite chacun à faire usage de sa raison pour comprendre où se situe son intérêt.
En cela, le libéralisme s’inscrit à l’opposé des velléités et des projets d’une intelligentsia qui aspire, en fonction de ses conjectures ou de ses préconceptions, à réorganiser scientifiquement l’humanité – pensons à l’écologisme ou à la Grande Réinitialisation (le Grand Reset) du World Economic Forum. Bien qu’il ne puisse s’empêcher, dans une sorte d’étonnant désaveu du communisme – n’y était-il pas favorable ? –, de qualifier la Croissance de « mythe moderne » – un mythe qui, soit dit en passant, a sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté –, Jean-Claude Michéa admet toutefois que « c’est toujours, en effet, au nom d’un savoir présenté comme scientifique que les idéologies modernes s’autorisent à déployer leurs effets ».
« Le libéralisme se présente donc comme le projet d’une société minimale dont le Droit définirait la forme et l’Economie le contenu », dit-il. S’il juge historiquement et anthropologiquement étrange la croyance qu’une communauté puisse fonctionner en s’appuyant uniquement sur des mécanismes de marché et non sur des valeurs morales et culturelles partagées, sans notion de common decency, il a raison de conclure qu’à moins que les hommes ne soient naturellement bons, une hypothèse historiquement et anthropologiquement fort hasardeuse, il ne reste que deux options cohérentes.
Soit on prend les hommes tels qu’ils sont et on tire parti de leur égoïsme pour édifier un empire du moindre mal, comme le propose le libéralisme ; soit on fabrique un homme nouveau tel qu’il devrait être en vue de réaliser l’utopie d’un monde parfait et d’édifier un empire du bien, ainsi que s’y est essayé le communisme, avec le succès que l’on sait, et que s’y attache désormais l’écologisme, si ce n’est que le premier promettait l’abondance et le second promet l’abstinence.
L’empire du moindre mal, Essai sur la civilisation libérale, Jean-Claude Michéa, Flammarion, Coll. Champs Essais, 208 pages.
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(Cet article sur la civilisation libérale a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4012 du mercredi 1er décembre 2021.)