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Wall Street à l’assaut de la démocratie

Wall Street à l’assaut de la démocratie Posted on 18 décembre 2021Laisser un commentaire

Apocalypse finance : le retour. Pour ceux qui ne l’avaient pas encore compris avec La Descente aux enfers de la finance, son précédent essai publié en 2019, nous sommes au bord d’une catastrophe aux proportions épiques. Et, peut-être le sommes-nous, car, à force de le répéter, cela arrivera bien un jour, c’est le propre, nous disent la psychologie et la sociologie, des prophéties auto-réalisatrices. Ou, la « phynance » l’aura cherché, comme Georges Ugeux le donne à penser dans son nouvel opus, Wall Street à l’assaut de la démocratie.

Il a été là où il le fallait pour en juger. De 1996 à 2003, ce Belge d’origine et Américain d’adoption, a été Executive Vice President International de la bourse de New York. Juriste et économiste de formation (UCL), il a été banquier commercial, banquier d’affaires, directeur financier dans le secteur public et le secteur privé. Il est désormais CEO de Galileo Global Advisors (sa propre firme de conseil en stratégie financière basée à New York) et il donne un cours sur la banque et la finance internationale à la faculté de droit de la Columbia University à New York.

Que reproche ce financier de haute volée à la finance de haut (et de bas) vol ? Il l’accuse de bien des choses, à commencer par sa déconnexion d’avec l’économie réelle et le fait que la dizaine de milliers de milliards de dollars injectés dans le système financier pour parer la crise de la Covid-19 au cours des deux dernières années a surtout poussé les indices boursiers à cabrioler de records en records.

Un acte d’accusation

L’acte d’accusation qu’établit Georges Ugeux n’épargne pas grand monde. En cause : l’influence des opérateurs des marchés financiers sur les responsables politiques ; la recherche du profit immédiat par l’investisseur ; l’euthanasie des épargnants par les banques centrales au profit des emprunteurs, les États en premier ; les taux négatifs et l’endettement massif des États ; l’idéologie qui favorise les actionnaires et accroît les inégalités…

« L’argent public n’est pas là, écrit-il, pour enrichir massivement les entreprises, leurs actionnaires et leurs dirigeants. » Quel esprit retors en disconviendrait et, si ce fût le cas, encore faudrait-il nuancer (quelles entreprises, quels actionnaires, quels dirigeants ?) et se remémorer toutes les circonstances.

S’agissant de la crise sanitaire, Georges Ugeux reconnaît que c’est sous la pression des médias qui ont fixé l’attention du public et de la classe politique sur les chiffres et les avis des épidémiologistes, précautionneux de nature, qu’à la fin du mois de mars 2020 les banques centrales se sont portées au secours des États à concurrence d’une dizaine de milliers de milliards de dollars en à peine quelques semaines. Il n’y avait aucune chance que ces capitaux soient utilisés de manière productive, aussi, convient-il, la rémunération de l’argent étant au plancher, voire en-dessous, ces capitaux se sont-ils investis en Bourse. « Le reste n’est que littérature », conclut-il. Certes, mais encore ?

Pour mieux indiquer d’où vient le mal et jusqu’où va la collusion, Georges Ugeux rappelle quelques fraudes et manipulations financières qui ont émaillé les deux dernières années : l’affaire Wirecard en Allemagne où le Financial Times fut poursuivi par le régulateur allemand pour avoir dénoncé des irrégularités portant sur plus de 3 milliards de dollars ; l’affaire GameStop, du nom de l’entreprise de jeux vidéos confrontée à la mother of all short squeezes de la part de fonds spéculatifs qui y perdirent plus que quelques plumes ; l’affaire Greensill qui toucha un ancien Premier ministre britannique ; l’affaire Archegos qui coûta plusieurs milliards à une brochette internationale de banques de premier rang ; l’affaire de la Super Ligue européenne de football, à l’instigation d’un milliardaire espagnol et d’un héritier de la famille fondatrice de Fiat.

Dark side de la finance

C’est sans parler des cryptomonnaies dont Georges Ugeux estime qu’elles participent au dark side de la finance. (Charlie Munger, le partenaire de Warren Buffett dans Berkshire Hathaway, le rejoint sur ce point. Il a qualifié le bitcoin de « répugnant et contraire aux intérêts de la civilisation » et de « monnaie utile aux ravisseurs et extorqueurs ».)

Georges Ugeux a sans doute raison de rappeler que la finalité des marchés financiers est de faciliter les échanges entre émetteurs et investisseurs, de constater qu’au fil du temps lesdits marchés ont été pervertis pour contribuer à l’enrichissement de leurs principaux acteurs et de dénoncer la complicité des gouvernements qui dépendent – surtout aux Etats-Unis ? – des lobbies des grandes entreprises et de leurs actionnaires pour financer les campagnes électorales car « le capitalisme financier anglo-saxon a depuis des décennies transformé les marchés financiers en une machine de pouvoir lancée à l’assaut de la démocratie ».

Mais, ce serait un peu court de s’en arrêter à la voracité de la « phynance ». Encore faudrait-il ne pas minorer la lourde responsabilité des gouvernements et donc de la caste politique dans les politiques d’assouplissement monétaire des banques centrales dont ils nomment le personnel et qui ont permis, à la faveur de la crise financière de 2008 et plus encore de la crise sanitaire, d’accroître massivement l’endettement public, au service des ambitions de leurs membres et des intérêts de leurs clientèles et au détriment des épargnants, lesquels en ont été réduits à investir en bourse et à devenir actionnaires eux aussi pour tenter de préserver leurs économies – faudrait-il les en blâmer ? – d’autant qu’à présent « l’inflation déjoue les pronostics », comme on dit pudiquement !

Assurément, Georges Ugeux vise-t-il en premier l’enchérissement colossal des grands actionnaires de sociétés cotées de la Big Tech, dont la capitalisation boursière atteint parfois plusieurs centaines de milliards de dollars, voire dépasse le millier de milliards de dollars, et dont l’habilité à éluder l’impôt est proverbiale, les rémunérations monstrueuses de certains de leurs dirigeants, et, quand il parle du « racket des institutions démocratiques », les compromissions entre le monde de la finance et le pouvoir politique, mais n’est-il pas encore plus dans le vrai quand il dit :

« Si les politiques monétaires non conventionnelles ont échoué depuis dix ans, c’est aussi parce que les torrents de liquidités apportées au système par les banques centrales via l’achat d’actifs financiers (le quantitative easing) n’étaient pas relayés par l’action des gouvernements et des banques dans l’économie réelle. » Sans doute les apprentis-sorciers et leurs commensaux ont-ils franchi leur seuil d’incompétence.

Wall Street à l’assaut de la démocratie, Comment les marchés financiers accroissent les inégalités, Georges Ugeux, 272 pages, Editions Odile Jacob.

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(Cet article sur la civilisation libérale a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4013 du mercredi 8 décembre 2021.)

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