Eric H. Cline est professeur d’histoire ancienne et d’archéologie à la George Washington University à Washington, D.C. Il s’est fait connaître du grand public avec son livre 1177 B.C. : The Year Civilization Collapsed, paru en 2014 et traduit en français en 2016 sous le titre 1177 avant J.-C. : Le jour où la civilisation s’est effondrée, dans lequel il investiguait pourquoi toutes les civilisations de la Méditerranée orientale se sont effondrées presque simultanément il y a quelque trois mille ans, à savoir un réchauffement climatique suivi de sécheresse, de famines, de séismes, de guerres civiles, de migrations de populations, d’interruption des échanges internationaux. Nous étions bien au XIIe siècle avant J.-C., et non point au XXIe siècle, et pourtant nous nous y croirions.
Dans le même esprit d’une possible répétition de l’histoire, Cline enquête dans son nouvel ouvrage dont question ici, paru l’an dernier en anglais et en français, La survie des civilisations, sur ce qui s’est produit de la Grèce à l’Egypte en passant par le Levant et la Mésopotamie après l’effondrement de 1177 av. J.-C., à partir d’une relation fascinante des connaissances accumulées sur les peuples qui y vécurent de la fin de l’âge du bronze (XIIe s.) au début du VIIIe siècle avant notre ère (Égyptiens, Phéniciens, Chypriotes, Philistins, Israélites, Néo-Hittites, Assyriens, Babyloniens, Cananéens, Grecs de la Grèce archaïque) et des hypothèses qui ont été formulées à ce sujet.
Déclin et chute, ou résurgence et nouvel essor
Se pose pour Cline la question d’un écho par rapport aux enjeux civilisationnels et écologiques de notre époque (déclin et chute, ou résurgence et nouvel essor). Pourquoi des peuples ont-ils disparu après l’effondrement et d’autres s’en sont-ils sortis ? L’idée d’une suite à son premier ouvrage sur l’effondrement de l’an 1177 avant J.-C., confie Cline, lui est venue pendant un séjour avec sa femme en Crète. Celle-ci fut l’une des régions touchées par l’effondrement. La société pourtant avancée des Minoens y a disparu à la fin de l’âge du bronze, de même que celle de la Grèce continentale voisine, des Mycéniens, la patrie d’Achille, Ulysse, Ajax et consorts et des États grecs décrits dans l’Iliade et l’Odyssée. De nos jours, fait observer Cline, personne ne se réclame encore d’une identité minoenne ou mycénienne.
En Crète, il avait entendu un bulletin de la BBC mettant en garde contre le possible effondrement de notre propre civilisation sous l’impulsion d’une série de facteurs différents, du climat à l’économie, susceptibles d’entraîner à relativement court terme l’instabilité, des migrations à grande échelle, des conflits, des famines et l’effondrement des systèmes économiques et sociaux. A son retour de Crète, l’idée d’une suite à son précédent ouvrage s’était cristallisée sur fond de pandémie, de crise sociale, de violences, de changement de climat et de guerre, à se demander si le prochain effondrement n’était pas au coin de la rue.
Les peuples de la Méditerranée orientale du XVe au XIIe siècles avant J.-C. avaient affronté les mêmes calamités, aucune d’entre elles prise isolément n’expliquant, selon Cline, qu’une seule civilisation ne disparaisse, a fortiori que l’ordre internationalisé de l’époque ne s’effondre tout entier. Il en tire la conclusion que c’est une combinaison des différents facteurs et des effets multiplicateurs et dominos qui a entraîné la mère de toutes les catastrophes et l’éclatement du réseau qui reliaient les sociétés à l’époque et dont elles étaient dépendantes, même si le fin mot de l’histoire est loin d’être connu.
Une société peut-elle rebondir après l’effondrement ?
En quoi consiste l’effondrement ? Cline s’en réfère aux cinq critères répertoriés par Colin Renfrew, un confrère de l’Université de Cambridge, à savoir l’effondrement de l’organisation administrative centrale ; la disparition de l’élite traditionnelle ; la ruine de l’économie centralisée ; un déplacement des centres habités ; un déclin démographique. Après qu’elle eut été victime de l’effondrement, une société est-elle capable de rebondir ou disparaît-elle à jamais ? Nombreux sont ceux qui parlent des siècles qui ont suivi l’effondrement de l’âge de bronze comme de « siècles obscurs », rapporte Cline. Il n’en est rien, dit-il, il s’est plutôt agi d’une période d’innovation (ne serait-ce que l’usage d’outils et d’armes en fer) et d’adaptation. C’est de nature à rassurer à une époque, la nôtre, de développement technologique effréné. Ne conviendrait-il pas incidemment de se demander si les natifs de l’âge du bronze se sont rendu compte de ce que leur civilisation était en phase d’effondrement ? Et, comment nous-mêmes nous en rendr(i)ons-nous compte ?
Pour conclure à ce stade, citons parmi les champions de la résilience, voire même de l’anti-fragilité, d’après l’effondrement, les Phéniciens (les Cananéens de l’aire centrale du Levant) et les Chypriotes qui ont prospéré au milieu du chaos, repris à leur compte les rôles joués auparavant par d’autres et promu l’innovation, et, au second rang, les Assyriens et les Babyloniens qui ont réussi la transition de l’âge du bronze à l’âge du fer en s’adaptant sans rien changer aux composantes fondamentales de leurs sociétés.
Quant à nos propres chances de survivre à l’effondrement, Cline cite un professeur de gestion et de marketing de l’Université de Louisiane qui paraphrasait en 1963 L’Origine des espèces de Charles Darwin : « Ce n’est pas l’espèce la plus intellectuelle qui survivra ; ce n’est pas non plus l’espèce la plus forte ; l’espèce la plus à même de survivre est celle qui sera la plus capable de s’adapter et de s’ajuster à l’environnement changeant dans lequel elle évoluera. » Alors, sommes-nous des Mycéniens ou des Phéniciens ?
La survie des civilisations : Après 1177 av. J.-C., Eric H. Cline, 368 pages, La Découverte.
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Etonnant que l’histoire des Israélites ne soit pas plus développée.