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Le Choc des civilisations : Un monde ni plus occidental, ni moins dangereux (2)

Le Choc des civilisations : Un monde ni plus occidental, ni moins dangereux (2) Posted on 18 septembre 2021Laisser un commentaire

Le monde continue à se moderniser, il n’en devient pas d’autant plus occidental ni moins dangereux. La croissance économique s’est déplacée vers l’Extrême-Orient et elle s’accompagne d’une influence politique et d’une puissance militaire accrues. Cela incite ces pays économiquement dynamiques, de même que, pour d’autres raisons, les pays à forte expansion démographique, à afficher une aversion grandissante à l’égard de l’Occident et une réticence à en accepter les diktats et les sermons.

Ce constat de Samuel P. Huntington (1927-2008) dans son magistral essai Le Choc des civilisations publié en 1996 témoigne d’une remarquable prescience par rapport à l’évolution du monde qui s’est manifestée depuis un quart de siècle et se poursuit. Si, comme toutes les autres civilisations qui l’ont précédée à l’apogée de la gloire et ont disparu, la civilisation occidentale semble perdre confiance en elle-même et s’épuiser, elle reste néanmoins à ce jour encore dominante. Et pour cause !

Cette domination s’exerce au travers du système bancaire international, de ses monnaies fortes, de ses marchés internationaux de capitaux, de la production de produits finis, des techniques de pointe, du contrôle des voies maritimes, de l’air et de l’espace, des communications, des armements…

Il n’en reste pas moins qu’une croissance économique asthénique, la stagnation démographique, les déficits budgétaires, un faible taux d’épargne, la corruption, la désintégration sociale (sous l’effet du chômage, des drogues, de la criminalité…) condamnent l’Occident au déclin et rendent ses valeurs (droits de l’homme, démocratie, libéralisme, état de droit) par conséquent moins attrayantes pour les autres civilisations. Le constat posé par Huntington reste d’actualité.

« Nous assistons à la fin de l’ère progressiste dominée par les idéologies occidentales, prédit-il, et nous entrons dans une ère au cours de laquelle des civilisations multiples interagiront, se concurrenceront et coexisteront. » A ce processus d’indigénisation du monde président un renouveau culturel, particulièrement en Chine, et un retour du religieux, surtout dans les pays musulmans, favorisés par le dynamisme économique de l’une, démographique des seconds.

La revanche de Dieu

On a pu croire que la modernisation entraînait automatiquement l’effacement de la religion. Si ce fut le cas en Europe, c’est, tout au contraire, à la revanche de Dieu et à la restauration d’un fondement sacré de la société que l’on assiste ailleurs, même dans les anciens Etats communistes où la religion a rempli le vide laissé par la disparition de l’idéologie. Lee Kuan Yew, père fondateur de la cité-Etat de Singapour, expliquait la résurgence du religieux en Asie par le stress social qu’a causé le fait que ses sociétés agricoles se soient transformées en sociétés industrialisées en à peine deux générations, une mutation qui prit deux siècles à s’accomplir en Occident.

Huntington attribue cette résurgence à un besoin d’identification (la raison seule ne suffirait pas à vivre), à un rejet de la laïcisation, du relativisme moral et de l’individualisme, qui n’est pas un rejet de la modernité mais de l’Occident, ainsi qu’à une réaffirmation des valeurs d’ordre, de discipline, de travail et de solidarité plus conformes à ce que, dans d’autres civilisations, la collectivité prime sur l’individu. Ces phénomènes sont indéniables dans les civilisations chinoise et musulmane.

En outre, modernisation ne signifie pas occidentalisation, nous l’évoquions d’entrée. L’urbanisation, l’éducation, la mobilité, les communications, les interactions avec d’autres cultures suscitent la perte des repères, une forme d’aliénation, et poussent au retour sur soi, à l’indigénisation. La civilisation musulmane en offre l’exemple, dopée tant par la croissance démographique des Etats qui en sont membres (ce sont les jeunes, rappelle Huntington, les acteurs des mouvements de protestations, de révolutions et de réformes) que par la richesse procurée à certains d’entre ces Etats par le pétrole, une richesse considérée comme une preuve de supériorité – jadis de l’Occident.

Un monde nouveau

En fait, selon Huntington, nous nous retrouvons dans la même configuration du monde qu’avant le XIXe siècle, lorsque Arabes, Byzantins, Chinois, Mongols, Ottomans, Russes avaient pris confiance dans leurs capacités et n’avaient que mépris pour l’Occident. Partout et toujours, la richesse – celle des pétrodollars et la réussite économique dans le monde d’aujourd’hui – confère la confiance en soi et favorise l’auto-affirmation, l’identité s’exprimant par rapport à l’autre en termes de supériorité ou d’infériorité, de peur ou de confiance, et d’entre-soi (familiarité et facilité de compréhension avec les autres membres d’une même civilisation).

Le temps où les deux superpuissances s’entouraient d’alliés, satellites, clients, pays neutres et non-alignés est révolu. Les nouvelles lignes de fracture globales sont désormais culturelles : les peuples et pays qui partagent la même culture se rapprochent, ceux de cultures différentes s’éloignent les uns des autres. Les frontières ne sont plus idéologiques mais ethniques, religieuses ou, pour reprendre l’expression de Huntington, « civilisationnelles ».

Concomitamment, alors que, dans le monde idéologique d’avant, un pays pouvait ne pas être aligné, voire même parfois changer de camp, dans le monde nouveau, par contre, c’est l’identité culturelle qui détermine l’appartenance et, partant, les associations, notamment dans le domaine économique, les amis et les ennemis. Changer de « camp », c’est changer d’identité. « Les dirigeants politiques, écrit Huntington, qui ont l’orgueil de penser qu’ils peuvent refaçonner en profondeur la culture de leur société ne peuvent qu’échouer. [Ils] peuvent faire l’histoire, mais ils ne peuvent lui échapper. »

Le Choc des civilisations, Samuel P. Huntington, 544 pages (nouvelle édition 2021), Odile Jacob.

(Troisième partie et conclusion de cette recension sur Palingénésie la semaine prochaine. La première partie en a été publiée la semaine dernière.)

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(L’article ci-dessus a initialement été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4000 du vendredi 10 septembre 2021.)

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