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Le complotisme en pratique

Le complotisme en pratique Posted on 13 mai 20233 Commentaires

Cette chronique a tracé la semaine dernière les grands axes descriptifs et explicatifs des croyances aux théories du complot. Dans son livre dont elles font l’objet, Pascal Wagner-Egger insiste sur le caractère multidimensionnel du phénomène psychosocial qui sous-tend l’esprit complotiste. On restait sur le plan de la théorie. Qu’en est-il en pratique ?

Une première conséquence pratique est l’impact de ces croyances sur la vie sociale. En démocratie, un gouvernement ne fonctionne en principe pas sur la base de la dissimulation et le fait d’extrapoler l’existence de complots avérés à partir de faits établis à de simples suspicions vis-à-vis de la plupart des actions officielles nuit à la démocratie et à la confiance dans ses institutions. Les théories du complot restent le propre, si on peut dire, des régimes autoritaires, des partis populistes, des sectes.

Pour évaluer la plausibilité d’une théorie du complot, Wagner-Egger préconise d’abord le recours au principe de simplicité, connu sous le nom de « rasoir d’Ockham », du nom d’un frère franciscain anglais ayant vécu aux XIIIe et XIVe siècles, pluralitas non est ponenda sine necessitate. Point n’est besoin de compliquer les choses pour les expliquer. Viennent ensuite, pour écarter des éléments éventuellement contradictoires dans la thèse officielle, le « rasoir d’Hanlon » (« ne pas attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer ») et, pour distinguer la science de la pseudo-science, le principe de réfutabilité de Karl Popper, sans oublier, bien sûr, le fardeau de la preuve de ce que l’on avance et de sa proportionnalité (plus l’accusation est grave, plus la preuve doit en être étayée, faute de quoi le doute profite à l’accusé).

La « Saga Raoult »

Wagner-Egger propose comme étude de cas, la pandémie mondiale de Covid-19, dont la survenance a donné lieu à une foison de théories du complot, certaines, on s’en doute, s’excluant l’une l’autre. La version officielle est que le coronavirus s’est transmis de l’animal à l’être humain (sans que cela n’ait pu être prouvé). L’hypothèse est la plus vraisemblable (c’est le chemin que d’autres épidémies ont suivi par le passé) et elle l’est plus que celles établissant un lien entre le coronavirus et la 5G, ou accusant Bill Gates d’avoir voulu vacciner la population mondiale pour la « pucer », voire pour la réduire. Trois éléments méritent d’emblée d’être soulignés : certaines hypothèses reviennent à chaque fois ; une grande majorité d’entre elles s’excluent mutuellement ; l’hypothèse du hasard est la plus simple quant à son origine et celle dont le chef d’accusation requiert la moindre preuve.

Outre celles au sujet de son origine, la pandémie a suscité d’autres théories du complot, concernant par exemple les mesures de confinement et, bien sûr, la vaccination. Le fait de penser par soi-même comporte nombre d’obstacles, à commencer par les biais cognitifs. La science s’est imposée en tant que seule discipline susceptible de les surmonter, « la meilleure arme pour ne pas avoir tort [étant], selon Wagner-Egger, le consensus scientifique », ce qui l’amène à aborder cet « épisode marquant relatif aux attitudes antisystèmes et complotistes durant la pandémie en France [qu’]a été sans conteste la « saga Didier Raoult«  » du nom de l’infectiologue français dont les « prises de position iconoclastes et scientifiques discutables », « l’attitude générale et la personne » ont suscité un débat qui est sorti, « pour des raisons liées au populisme et au complotisme », « malgré des prévisions complètement fausses », du cercle de la recherche en médecine dans lequel il aurait dû se cantonner.

La tétrade sombre

Wagner-Egger reproche à Raoult son « manque de modestie », son « narcissisme prononcé », son penchant pour l’anarchisme méthodologique de Feyerabend, son rejet du consensus scientifique et de son développement cumulatif et confirmatoire, son dédain pour les « méthodologistes de l’élite », sa communication sur YouTube et Twitter et sa forfanterie à prétendre qu’il a seul raison contre tous et qu’il représente le peuple contre l’élite corrompue, sa façon de « donner du grain à moudre à ses supporters complotistes ». Qui sont-ils ? A part les jeunes (pas partout) et les femmes (pas toujours), il y aurait, selon « une synthèse de plus de 43 études menées dans le monde entier », notamment, les personnes disposant d’un niveau d’éducation et de salaire moindre, celles appartenant à la « Dark Tetrad » (« la tétrade sombre » : machiavélisme, narcissisme, psychopathie, sadisme), souffrant d’anxiété ou de paranoïa, croyant aux phénomènes paranormaux, se méfiant des institutions, s’affichant à droite… Cet aperçu serait « congruent » avec les recherches des dix dernières années sur le complotisme.

C’est qu’en plus de reprocher à Raoult son ego surdimensionné et son appétence pour la controverse, Wagner-Egger lui fait aussi grief de ses « déclarations erronées sur le réchauffement climatique », un phénomène dont l’origine humaine ne fait aux yeux de ce dernier aucun doute puisque le nier en dépit d’un « consensus scientifique de 95 à 98% » et du « risque d’extinction de l’espèce humaine » reviendrait à défendre la théorie de la « Terre plate ». Comment s’étonnerait-on dès lors de ce qu’un éminent mathématicien, professeur aux universités, qui prouve par A + B que « mathématiquement le GIEC a tout faux » se voie servir en guise d’objection par un contradicteur anonyme (GIECien, courageux mais pas téméraire) un article de Wagner-Egger sur la psychologie du complotisme ? A force de théoriser le complotisme et de le voir partout à l’oeuvre, n’y succomberait-on pas soi-même et n’inciterait-on pas ses lecteurs à y céder ?

Psychologie des croyances aux théories du complot, Le bruit de la conspiration, Pascal Wagner-Egger, 168 p, PUG (Presses universitaires de Grenoble).

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4086 du mercredi 3 mai 2023.)

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3 commentaires

  1. Notre société a été tellement abrutie et endoctrinée qu’elle présume que tous ceux qui ont un esprit critique sont des complotistes. (auteur inconnu)

  2. Dans tous les domaines il peut y avoir des consensus. En science, la valeur démonstrative du consensus est nulle et peut juste bloquer le progrès de la connaissance. Ainsi, le consensus de la « génération spontanée » a été infirmé par une seule expérience, un seul homme, Pasteur, et il y a quantité d’autres exemples.

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