Le dégoût de l’homme pour lui-même et, par suite, son inaptitude à aimer son prochain comme lui-même ronge nos sociétés contemporaines, observe Véronique Bourgninaud. Elle fonde son Plaidoyer pour la personne humaine (le sous-titre de son essai) sur la constatation que l’Homme du XXIe siècle est désespéré. A titre d’exemple, elle mentionne le mouvement des Ginks (pour « Green Inclination, No Kids », « engagement vert, pas d’enfant »), ces jeunes refusant d’avoir des enfants par souci de la planète et angoisse de l’avenir, selon la devise : « Ce monde sera meilleur s’il est moins peuplé. » Le mouvement childfree (sans enfant par choix), né aux Etats-Unis dans les années 1970, a trouvé son expression la plus radicale dans le mouvement écologiste VHEMT (prononcé vehement, de l’anglais Voluntary Human Extinction Movement) et son pendant francophone, le Mouvement pour l’extinction volontaire de l’humanité.
« Nous pensons, écrit Bourgninaud, que cette haine de l’homme due à l’homme est, dans une vision eschatologique de la fin des temps, la dernière grande attaque contre la création. » Elle l’explique par une double erreur, celle d’avoir remplacé le Bien par la liberté comme fin ultime de l’existence humaine et celle d’en avoir supprimé toute transcendance. En cause, le libéralisme dont Wilhelm von Humboldt situa l’idéal dans le développement de chacun par lui-même et pour lui-même, où la forme prévaudrait sur le contenu de l’acte humain et non plus la recherche du Bien et le don de soi en vue d’une fin supérieure.
L’autrice en veut pour preuve la dénaturation des droits de l’homme, lesquels s’écartent toujours plus du modèle de 1948 inspiré par la loi naturelle pour s’imprégner d’un positivisme juridique sous influence (de tel ou tel groupe de pression ou du battage médiatique) jusqu’à imposer comme une évidence des pratiques contraires à la dignité humaine (comme l’usage d’embryons humains pour la recherche scientifique). Elle condamne le projet anthropologique des sociétés occidentales comme étant objectivement nihiliste pour l’homme, faute de lui apporter la moindre espérance, et considère que trois idéologies témoignent de cette rupture ontologique : le transhumanisme, l’antispécisme et les théories du genre. « Toutes les trois, écrit-elle, procèdent d’un même mouvement de refus de la nature. Chacune porte la même erreur fondamentale qui consiste à nier et à vouloir transformer les données objectives du réel. La volonté de tout transformer atteint aujourd’hui sa dernière frontière : l’homme lui-même. »
Le transhumanisme relève d’un projet qui date du XIXe siècle, celui d’améliorer l’espèce humaine. C’était, initié par Francis Galton, un cousin de Darwin, déjà celui de l’eugénisme, qui, marqué par le malthusianisme et l’évolutionnisme, avait pour ambition de faire advenir un monde dont le nombre et la qualité des habitants soient régulés. « Dans cette perspective, note Bourgninaud, la réalité individuelle de l’homme est niée et seule compte la suprématie collective de la nation. » Ou de l’humanité, comme certains forums l’imaginent. Le biologiste Julian Huxley (le frère de l’écrivain) à qui on doit le terme « transhumanisme » en parla comme d’une élévation de l’espèce humaine « dans sa totalité, comme humanité ».
Faisant abstraction de la dimension spirituelle et sociale de l’homme, l’idéologie transhumaniste le réduit à ses attributs physiques et cognitifs et, relève l’autrice, reprend la promesse du serpent dans le livre de la Genèse : « Vous serez comme des dieux. » Les théoriciens du genre se livrent à un même exercice : ils nient le réel et lui substituent une utopie visant à transformer le monde via leurs relais d’influence éducatifs, culturels et médiatiques. Elle y voit un néo-marxisme, de même que dans l’antispécisme qui rejette toute distinction de nature entre l’homme et les autres espèces.
Pour remédier aux désordres du monde, Véronique Bourgninaud préconise un retour à la foi. C’est ce qui fonde sa critique du libéralisme, à tort, car, comme Pierre Manent l’indique dans son Histoire intellectuelle du libéralisme, ce dernier n’a pas les visées prométhéennes que des esprits religieux lui prêtent, mais, humble, se contente de récuser « l’insupportable présomption de savoir les choses de l’autre monde, qui fait un tel ravage en celui-ci ». Reste à réconcilier l’analyse pertinente que fait l’autrice de la désespérance de l’homme occidental présent avec le mouvement historique moderne de l’Occident.
Contre la détestation de l’Homme par l’Homme, Véronique Bourgninaud, 220 pages, Artège.
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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4117 du vendredi 8 décembre 2023.)
Aimer son prochain comme soi-même? QUI en est capable? A l’heure actuelle on n’est plus dépendant des autres comme dans les sociétés primitives et… on se permet un égocentrisme épouvantable, sous différentes étiquettes, qui durera sans doute le temps que durera encore le progrès actuel……