En 1922, il y a cent ans, parut le second volume de l’oeuvre principale de l’historien et philosophe allemand Oswald Spengler (1880-1936), Le déclin de l’Occident, Esquisse d’une morphologie de l’histoire universelle. Le premier volume parut en 1918 sous le titre Gestalt und Wirklichkeit (traduit par Forme et réalité), le second est intitulé Welthistorische Perspektiven (Perspectives de l’histoire universelle).
Spengler compare la civilisation occidentale à sept autres, culturellement avancées, et propose d’en établir une morphogenèse historique permettant d’en prédire l’évolution. Son oeuvre s’est inspirée de l’idée de morphologie naturelle de Goethe et de la philosophie de l’histoire de Hegel et a notamment influencé l’historien anglais Arnold J. Toynbee, considéré comme le principal spécialiste des affaires internationales de la première moitié du siècle dernier, et, par la suite, le professeur américain de sciences politiques Samuel P. Huntington (1927-2008), à qui l’on doit le toujours actuel Choc des civilisations, dont il fut déjà question ici et dans lequel il prédit que les prochaines guerres seront d’essence culturelle.
Plus près de chez nous, en ce qu’il prétend prévoir les développements historiques à venir à partir de ce dont il parle lui-même comme d’une métaphysique (de la même façon en quelque sorte qu’Arthur Schopenhauer, ce précurseur méconnu de Freud, avait conçu sa Métaphysique de l’amour sexuel), Spengler a inspiré l’historien belge David Engels dans son essai à succès de prospective historique dont il fut aussi question ici, Le déclin : la crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine : quelques analogies historiques (publié aux éditions du Toucan, en 2013).
Le retour du césarisme
Spengler postula que cultures et civilisations humaines sont semblables à des entités biologiques, chacune ayant une durée de vie limitée, prévisible et déterministe et avertit qu’aux alentours de l’an 2000, la civilisation occidentale entrerait dans une période d’instabilité critique dont la répression conduirait à 200 ans de césarisme (défini comme un régime d’omnipotence extra-constitutionnelle du pouvoir exécutif) avant son effondrement final.
Si cela éveille des souvenirs de situations récentes, ce n’est peut-être pas un hasard malencontreux. C’est d’ailleurs cette thèse du déclin inévitable et naturel suivant une longue période de prospérité dont David Engels s’inspire directement dans son propre essai sur la crise de l’Union européenne. Avant la Première Guerre mondiale, prévalait encore l’idée d’un progrès continu et historiquement nécessaire de l’histoire de l’humanité, même chez les marxistes. Pour Spengler, tout au contraire, le principe de base est celui de la non-continuité de l’histoire, en opposition à son éternité.
Dans ses Perspectives de l’histoire universelle publiées il y a un siècle, Spengler entend démontrer la validité de son approche morphologique (et non phénoménologique ou intuitionniste) de l’histoire en en analysant cinq aspects qu’il considère comme immanents dans sa morphologie, à savoir le Destin (lié au paysage originel fortuit des cultures en général, sans aucune explication rationnelle), la Ville, la Religion, l’Etat et la Vie économique. Dans la conception spenglérienne, le peuple ne crée pas la culture, il en est l’oeuvre.
Une époque faustienne
Oswald Spengler était un polymathe. Ses considérations sur la biologie humaine, qui interviennent dans les développements de sa morphologie de l’histoire, feraient hurler les tenants de la théorie du genre et sourire d’autres pour leur caractère suranné ou spécieux, encore faut-il prendre en compte que sa pensée s’inscrit dans le zeitgeist de son époque autant qu’elle y a elle-même contribué.
Comment toutefois sa prescience de notre époque faustienne n’épaterait-elle pas quand il dénonce les « grandes théories » comme autant d’Evangiles ? « Leur force de conviction ne repose pas sur des raisons, écrit-il, car la masse d’un parti ne possède ni l’énergie critique ni la distance nécessaire pour les examiner sérieusement, mais sur la consécration sacramentelle de leur phraséologie. » Il en parle comme d’une « religion des lettrés », d’une « religiosité nouvelle et résignée, qui s’élève de la misère de l’âme et du tourment de la conscience ». (Ortega y Gasset rejoint cette analyse dans son oeuvre phare, La Révolte des masses, parue en 1929, dont cette chronique fit état.)
Un autre aspect de l’actualité de l’oeuvre d’Oswald Spengler est sa critique de ce que l’on nommerait aujourd’hui les médias à l’« artillerie » de la volonté de puissance desquels presque aucun n’échappe, à défaut de conquérir la distance intérieure qui permet de voir clairement l’ampleur du phénomène. « Qu’est-ce que la vérité ? Pour la foule, c’est ce qu’elle lit et entend constamment. […] La vérité publique du moment, qui seule importe dans le monde réel des actions et des succès, est aujourd’hui un produit de la presse. Ce qu’elle veut est vrai. »
L’histoire universelle a toujours sacrifié la vérité et la justice à la puissance, rappelle Spengler avec pour mot de la fin cet adage stoïcien : Fata volentem ducunt, nolentem trahunt.
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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4061 du mercredi 9 novembre 2022.)
Oui, l’Occident est mourant et il est bien vrai – malheureusement – que les gens « normaux » avalent ce qui leur est présenté, ne font preuve d’aucun esprit critique…. comme fait observer p.ex. Idriss Aberkane.