Pour paraphraser ce que Montalembert disait de la politique, vous avez beau ne pas vous occuper de la monnaie, la monnaie s’occupe de vous tout de même. Bruno Colmant considère son essai sur La monnaie comme le plus accompli qu’il a publié sur le sujet. Votre palingénésiste n’a pas lu la totalité de son abondante production – plusieurs dizaines d’ouvrages -, mais il a notamment apprécié ceux dans lesquels il évoque la nature religieuse de la monnaie et la théorie de la monnaie fondante de Silvio Gesell, deux thèmes à nouveau abordés dans son dernier essai, lequel constitue une initiation érudite à la problématique de la monnaie et suscite d’autant plus le débat que son auteur est bon pédagogue et y invite par son sous-titre : « Entre néolibéralisme et Etat, un choix politique ».
Création de monnaie ex nihilo
Le gouvernement n’est pas la solution mais le problème. Colmant s’inscrit en faux contre l’assertion de Ronald Reagan, la situe comme l’entrée dans un monde « prédateur et instable, pétri d’égoïsme et de cynisme » et avoue avoir attendu à la même époque l’élection de François Mitterrand (1981) à la présidence de la République française pour « vivre son Mai ’68 par procuration ». Les années 70, rappelle-t-il, furent celles d’une stagflation (période de stagnation, de chômage et d’inflation). Les dépenses prodigieuses engendrées par la guerre du Viêt Nam et l’exploration de la Lune ont mis à mal le Trésor américain et poussé les Etats-Unis à suspendre la convertibilité du dollar en or (1971) et les chocs pétroliers qui suivirent n’améliorèrent pas la situation. Elle déboucha sur l’arrimage des devises européennes les unes aux autres (et par la suite à la création de l’euro) et sur un changement de statut des Etats-Unis de créditeurs en débiteurs du monde, l’euro étant en principe une monnaie forte vouée à juguler l’inflation, le dollar, une monnaie faible, « impérialiste et dévaluationniste ».
Que le dollar reste à ce jour la devise de réserve mondiale tandis que l’euro juxtapose des économies aux dynamiques différentes et présente un risque de fragmentation ne change rien au fait que de part et d’autre de l’Atlantique les banques centrales ont créé énormément de monnaie et sont devenues des « comptoirs d’escompte des dettes publiques ». Et, que les banques centrales jouent le rôle de prêteur en dernier recours et se livrent concomitamment à la répression financière (le maintien de taux d’intérêt réels négatifs) indique à qui profite le crime, à savoir les principaux emprunteurs, les Etats. Or, Milton Friedman avait averti de ce qu’une création monétaire supérieure à la croissance de la production est inflationniste et les économistes américains Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont démontré que, passé un certain niveau, les dettes publiques nuisent à la croissance économique. Jacques de Larosière, l’ancien gouverneur de la Banque de France et directeur général du FMI, a lui aussi récemment pointé le danger de la création de monnaie ex nihilo pour le système financier.
Un « effet de saturation du néolibéralisme » ?
Colmant, par contre, accuse les « failles » d’un « néolibéralisme » qui nous aurait « anesthésiés dans les mensonges du progrès social partagé et de l’innovation technologique salvatrice de nos propres saccages de la nature, comme si le perfectionnement capitalistique effaçait ses propres souillures » et serait responsable des fractures sociales (non, ce n’est pas la politicaillerie), de la désocialisation du travail (non, ce n’est pas la numérisation, ni la robotisation), de la concurrence fiscale (non, ce ne sont pas les Etats), des crises et inégalités. Bref, selon lui, le néolibéralisme placerait le marché au-dessus des individus et la monnaie à l’origine de la liberté. Son aversion pour le néolibéralisme va jusqu’à suspecter l’économiste français Léon Walras (1834-1910), le père de la notion d’équilibre général, d’avoir « en filigrane » (et à titre posthume) posé les jalons de l’atomisation du marché du travail.
Le moyen de remédier à l’« effet de saturation du néolibéralisme » ? Réhabiliter l’« Etat-stratège », pardi ! C’est là l’idée centrale de l’opus de Colmant : à ce niveau de dettes publiques, une étatisation du secteur financier est nécessaire à leur remboursement et à l’affectation autoritaire des actifs des banques (c’est à dire les dépôts des épargnants…) à différents objectifs sociaux comme la transition énergétique et la réparation de l’environnement. Nous y reviendrons.
La monnaie, Bruno Colmant, 306 pages, Fayard.
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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4125 du vendredi 2 février 2024.)
Texte intéressant mais toujours revient « la transition énergétique », cette folie furieuse…. à moins évidemment qu’on parle de l’énergie nucléaire, seule vraiment propre, durable et, actuellement, sans danger (lire Fabien Bouglé, Nucléaire, les vérités cachées)