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Le climat comme religion

Le climat comme religion Posted on 6 janvier 20242 Commentaires

Alors que l’Eglise perd en importance, une autre croyance gagne en popularité, la religion du climat. C’est l’analyse que Hannah Bethke, qui est docteur en sciences politiques et journaliste à Die Welt, a fait dans l’édition dominicale du grand journal allemand, Die Welt am Sonntag, du 10 décembre. Elle s’en réfère notamment à la déclaration de l’archevêque catholique de Berlin, Heiner Koch, sur les ondes du RBB (le service public audiovisuel pour les Länder de Berlin et de Brandebourg) en 2019, en pleine euphorie des marches pour le climat, à savoir qu’elles rappelaient le dimanche des Rameaux qui célèbre l’arrivée de Jésus à Jérusalem et marque l’entrée dans la Semaine sainte.

« Loin de moi l’idée de faire de Greta un messie au féminin en la comparant à Jésus », avait-il dit. Mais encore la société et l’Église ont-elles besoin de véritables prophètes « qui attirent l’attention sur les dysfonctionnements et les évolutions fautives et qui proposent des solutions – même si celles-ci ne rencontrent pas l’assentiment unanime ». Du côté protestant, Heinrich Bedford-Strohm, président à l’époque du Conseil de l’Église évangélique en Allemagne (EKD), avait mis en garde contre une sacralisation de Greta, relate Hannah Bethke, mais l’évêque protestant Christian Stäblein a pourtant lui aussi déclaré que Greta avait « quelque chose de prophétique ». D’aucuns, écrit la journaliste de Die Welt, ont même parlé d’un « mouvement de réveil » (Erweckungsbewegung).

Sacralisation du mouvement pour le climat

La tendance à l’écologisation de la théologie se poursuit, constate-t-elle, surtout chez les protestants mais aussi une partie des catholiques, comme si les Eglises ne savaient plus où placer leur foi. Elle voit, en tout cas, une corrélation entre la désacralisation de l’Eglise et la divinisation du mouvement climatique. Si l’Eglise a perdu son monopole d’intermédiaire de la vérité transcendantale, la religion n’a toutefois pas disparu. Les leitmotivs chrétiens de culpabilité et de repentance restent d’actualité : on s’accuse, on se confesse, on fait des dons, on fait du prosélytisme, on cloue les autres au pilori. L’historien allemand Volker Reinhardt, qui enseigne à l’Université de Fribourg, y voit une forme de commerce des indulgences, « une industrie de la culpabilité écologique ». Le dogme ne s’est pas évaporé, il a juste été recyclé.

Le constat selon lequel la perte de la foi dans le monde sécularisé génère des formes de religions de substitution n’est pas nouveau. Toutefois, poursuit Hannah Bethke, alors qu’avec le psychanalyste et philosophe social Horst-Eberhard Richter, auteur de Der Gotteskomplex (Le complexe de Dieu), on a pu considérer que la perte de la foi avait suscité une « soif de toute-puissance technique » qui amènerait l’Homme à détruire son environnement et par voie de conséquence à se détruire lui-même par effroi du vide, ne faut-il pas se demander si désormais ce ne sont pas les militants du climat qui sont pris d’un délire d’omnipotence pour remodeler le monde selon leurs convictions millénaristes, sans se préoccuper des conséquences ?

L’idéalisation, essence de la pensée religieuse

Dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), l’essai dans lequel il essaie d’expliquer ce qui lie une société et l’impact que cette dernière exerce sur la pensée logique, le sociologue français Emile Durkheim indique que « l’homme a une faculté naturelle d’idéaliser, c’est-à-dire de substituer au monde de la réalité un monde différent où il se transporte par la pensée. » Seul l’homme a cette faculté et l’idéalisation est une caractéristique essentielle des religions. « Si la vie collective, quand elle atteint un certain degré d’intensité, donne l’éveil à la pensée religieuse, précise-t-il, c’est parce qu’elle détermine un état d’effervescence qui change les conditions de l’activité psychique. »

« Les énergies vitales sont surexcitées, les passions plus vives, les sensations plus fortes ; il en est même qui ne se produisent qu’à ce moment. L’homme ne se reconnaît pas ; il se sent comme transformé et, par suite, il transforme le milieu qui l’entoure. En un mot, au monde réel où s’écoule sa vie profane il en superpose un autre qui, en un sens, n’existe que dans sa pensée, mais auquel il attribue, par rapport au premier, une sorte de dignité plus haute. C’est donc, à ce double titre, un monde idéal. » Pour Durkheim, la création de cet idéal n’est pas un acte surérogatoire par lequel une société se compléterait, mais l’acte même par lequel une société se fait et se refait périodiquement. « Une société ne peut ni se créer ni se recréer sans, du même coup, créer de l’idéal. »

Hannah Bethke souligne le fait que la sacralisation de pensées et de mouvements politiques peut déboucher sur le fanatisme et l’intolérance, à raison à en juger par l’usage de la désobéissance civile et de l’action directe dont se prévalent la mouvance écologiste (La dernière génération, Extinction Rebellion) pour le climat et la mouvance woke pour sa vision manichéenne de la discrimination sociale. Gustave Le Bon ne disait pas autre chose de la dynamique à l’oeuvre dans la psychologie des foules, de la possibilité de les manipuler ainsi que de leur capacité destructrice.

Malheureusement, écrivit Stefan Zweig dans Conscience contre violence à propos des idéalistes et des utopistes, « la puissance pousse à la toute-puissance, la victoire à l’abus de la victoire ; au lieu de se contenter d’avoir gagné à leur folie personnelle tant d’hommes prêts à vivre et même à mourir pour elle, ces conquistadors se laissent tous aller à la tentation de transformer la majorité en totalité et de vouloir aussi imposer leur dogme aux sans-parti ». Et combien de fois « une petite, mais active minorité faisant preuve d’audace n’a eu recours à la terreur pour intimider l’indolente majorité » ! La survenue de Calvin à Genève au XVIe siècle, objet de l’essai de Zweig, en fit la démonstration.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4121 du vendredi 5 janvier 2024.)

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2 commentaires

  1. MERCI pour ce texte clair et intéressant!
    Oui, l’homme a besoin d’idéal, de religion…. mais culpabilité et repentance me semblent surtout liées à l’Occident, à la religion chrétienne, et nous laissons d’autres bénéficier de nos dispositions!
    Et, pour remplacer notre religion, nous acceptons le totalitarisme « vert » aussi exigeant que la religion aux Moyen Age!!

  2. Article intéressant !

    Quelques petites réflexions afin d’éclairer les propos, si je puis me permettre :

    1/ L’Eglise catholique ne perd pas en importance. Sa pratique est bien en recul dans plusieurs pays occidentaux, dont la France, mais, au niveau mondial, le nombre de pratiquants/croyants est en hausse, notamment grâce à l’Afrique et l’Asie. Le recul de la pratique occidentale n’est pas le seul moteur du climato-alarmisme. Il est principalement dû à une irrigation des esprits par la pensée bolchevik et plus généralement socialiste. Comme c’est le cas pour de nombreux gouvernements et médias de l’UE. D’un côté les écolos « purs et durs » pour qui l’Homme est un parasite nocif à la Terre mère Gaïa. Et à côté d’eux, les socialo-communistes qui rêvent de renverser la table du système capitaliste et qui donc l’attaque sur son flanc gauche, à savoir celui de l’écologie et du climat…

    2/ L’Allemagne est un cas particulier en ce qui concerne la religion catholique et plus largement chrétienne. Car, en résonance avec le point 1, il s’agit d’un pays complètement ravagé par la pensée de gauche depuis la seconde guerre mondiale. A un tel point que l’année dernière, ce pays a fait son propre Synode où il a souhaité le mariage des prêtres et l’accès à la prêtrise des femmes. Nombre d’Evèques et de prêtres teutons ont une forte composante communiste… Ce pays est perdu intellectuellement et énergétiquement !

    3/ En ce qui concerne l’Eglise catholique, les dérives qui ont existé au cours des siècles, relèvent très majoritairement de courant de pensées (comme l’arianisme ou le jansénisme) qui se sont opposés aux dogmes. Systématiquement l’Eglise a « corrigé le tir ». Dans les faits, seul le mouvement protestant (dans ses nombreuses composantes) a mis en place des systèmes répressifs et édicté nombre d’interdits (je pense ici à la police des mœurs instituée à Genève au XVIe), cela ne fut jamais le cas côté catholique. La religion écologique relève du protestantisme, et pas du catholicisme, c’est pour cela que l’on retrouve une forte propension dans les pays d’Europe du Nord…

    4/ La terreur (ici principalement sociale, pour le moment…) est bien un des leviers utilisé pour imposer la vision climato-alarmiste. Elle relève pour partie d’une religion, mais en fait, d’une fausse religion. Celle qui débouche inévitablement sur du totalitarisme. Nous sommes dans le même cas que lors des prémices de la montée du monde musulman au VIIe siècle, de la Révolution française au XVIIIe, du bolchevisme et du nazisme du XXe…

    Tout cela finira pas s’arrêter, mais, combien de pertes d’ici là ?!

    Cordialement,

    JL

    https://www.leseditionsdubiencommun.fr/nos-ouvrages/climat-de-peur/

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