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Le monde ne sera plus comme avant

Le monde ne sera plus comme avant Posted on 11 mai 20241 Comment

L’avantage de rouvrir un livre sur « Le monde d’après » après un certain délai est de vérifier jusqu’à quel point sa vision des choses s’est avérée. Un délai d’un an n’est pas suffisant pour en juger, mais l’histoire n’arrête pas son cours. Les Liens qui Libèrent, tout un programme, ont publié Le monde ne sera plus comme avant sous la direction de Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris et auteur de nombreux ouvrages dans le domaine des relations internationales, et Dominique Vidal, historien et journaliste au Monde diplomatique, en novembre 2022, avec de multiples contributions sur la guerre en Ukraine et en général, l’UE, les années 1930 et 1940, les frontières, les migrations, le religieux, la propagande, le populisme, le multilatéralisme, l’impérialisme, l’islamisme, la Russie, la Chine, les Etats-Unis.

Du connu vers l’inconnu

L’idée centrale de cet ouvrage collectif, telle qu’exposée par Bertrand Badie dans l’introduction, est que, quand bien même la base de toute connaissance est d’aller du connu vers l’inconnu, interpréter le sens d’un événement en fonction du passé amène à se tromper. Cela revient précisément à donner à l’histoire un sens prédéterminé par la providence ou la raison, conformément à une conception fort ancienne de la philosophie de l’histoire de ce que, même révolutionnaire, elle obéirait à une matrice qui autoriserait à en exposer les constantes, en faciliter la compréhension et en postuler la suite. Non seulement, dit l’auteur, cela incite à adopter une posture passive face à l’évolution de l’histoire, mais encore cela revient à favoriser une stratégie politique de « conservatisme analytique » dont profitent le prince (fût-il président et chef de guerre) et les élites en place.

Dans le collimateur, Samuel Huntington et son Choc des civilisations, Graham Allison et son Piège de Thucydide (qui aboutirait à la guerre entre les Etats-Unis et la Chine comme cela fut le cas entre Sparte et Athènes au Ve siècle avant J.-C.) et Francis Fukuyama et sa Fin de l’histoire et le dernier homme, à tort, peut-il sembler, à l’exception de ce dernier qui, malgré ses dénégations, semble bien s’être fourré le doigt dans l’oeil jusqu’au coude en prédisant que tout le monde il serait beau, tout le monde il serait gentil. Huntington, par contre, semble avoir eu raison, quant à Allison, les paris sont ouverts. Reste, certes, comme l’écrit Bertrand Badie, que « l’histoire nous apprend, non pas à partir de la représentation que nous en avons a priori, mais en fonction de ce qu’elle dérange et bouscule de notre confort intellectuel acquis ». N’en va-t-il pas de même, au fond, pour toute connaissance ?

L’éternel retour

L’éternel retour est un concept qui date de l’Antiquité. Il a inspiré plusieurs philosophes (Héraclite, Aristote, les stoïciens, Nietzsche parmi d’autres). L’histoire du monde se répèterait à l’identique, de manière cyclique, en se recomposant. A propos de la guerre en Ukraine, Dominique Vidal cite Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » La phrase eût pu avoir été écrite de nos jours. Elle est d’un disciple de Marx (et de sa dialectique déterministe…) et date de 1929. Selon Vidal, cette guerre n’a toutefois plus rien à voir avec les impérialismes et grands camps d’antan et la notion selon laquelle « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Deux autres contributeurs enchérissent : les conflits contemporains reflètent les évolutions économiques, politiques, culturelles, technologiques d’un monde dans lequel la promiscuité – l’interdépendance, diront les optimistes – n’a jamais été aussi manifeste.

Robert Martelli, un historien du communisme, avance que le monde ne consiste pas en un modèle unique d’organisation mais en un lacis de logiques. « La mondialisation, écrit-il, est capitaliste dans ses fondements matériels, de faible intensité démocratique dans ses institutions et potentiellement explosive dans ses pratiques. » Dans son analyse du populisme qui en fait partie et partage la société entre le peuple et l’élite, Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, cite Richard Griffiths, professeur d’histoire économique et sociale à Leiden : « Comme le fascisme, le planisme [planification économique sans collectivisation de la production] ne se fiait pas aux capacités intellectuelles et pratiques du peuple. Il fallait se fier à une élite. » A cet égard, convenons-en avec Dominique Wolton, seules la tradition démocratique et une presse pluraliste et indépendante sont susceptibles de nous préserver des dérives.

Le monde ne sera plus comme avant, Bertrand Badie et Dominique Vidal (dir.), 336 p, Les Liens qui Libèrent.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4139 du vendredi 10 mai 2024.)

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1 commentaire

  1. Un livre réaliste, bien documenté, sans « opinions » est à lire par ceux qui se posent des questions sur l’évolution: Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés.

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