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La psychologie du totalitarisme (2) : Des dérives de l’idéologie mécaniste

La psychologie du totalitarisme (2) : Des dérives de l’idéologie mécaniste Posted on 3 septembre 20223 Commentaires

La conclusion de la première partie de la recension de l’essai de Mattias Desmet sur la psychologie du totalitarisme était que, si la science mécaniste a permis d’améliorer la condition humaine, elle l’a aussi rendue, de plusieurs points de vue, plus précaire. La mécanisation, l’industrialisation et la technicisation du monde ont ainsi eu pour conséquence d’en centraliser les capacités de production et la puissance économique (via une centralisation du système bancaire) et de renforcer l’emprise d’un nombre de plus en plus restreint de personnes sur les masses (via les médias).

Alors que le projet des Lumières consistait à libérer l’homme des rets du pouvoir divin et absolu et à lui conférer une certaine autonomie, c’est paradoxalement à de nouvelles formes de dépendance et d’impuissance qu’il a abouti et, partant, à de la méfiance à l’encontre de ceux qui en tiraient parti. En d’autres termes, alors que l’homme était censé prendre le contrôle de sa destinée, c’est sous bien des aspects à l’opposé que l’on en est arrivé, ce phénomène s’accompagnant de la perte des repères sociaux et naturels qui prévalaient auparavant et d’une perte de sens de l’existence, une évolution que Hannah Arendt qualifia d’atomisation de l’individu.

L’explication de cette évolution réside dans ce qu’une approche mécaniste, rationnelle et logique, d’un phénomène d’ordre naturel fait nécessairement abstraction d’une partie de la réalité qui lui est extérieure, mais qui n’est pas insignifiante. L’effet réducteur, déshumanisant, de la mécanisation et l’atomisation de l’individu se manifestent de nos jours avec acuité dans la virtualisation des rapports sociaux.

Théorie et réalité

« La science adapte sa théorie à la réalité et l’idéologie adapte la réalité à sa théorie, écrit Desmet. Cela vaut aussi pour l’idéologie mécaniste qui entend adapter la réalité à sa fiction théorique, à savoir sa capacité d’optimaliser le monde. » De manière plus acerbe, il accuse l’idéologie mécaniste de vivre à crédit, promettant un avenir radieux une fois que la connaissance sera complète et la technologie parfaitement maîtrisée, même si entretemps cela peut engendrer maladie et dépression.

« C’est à ce niveau, écrit-il, que nous rejoignons Hannah Arendt quant à situer ce qui sous-tend le totalitarisme dans la croyance naïve que l’on puisse créer à partir d’une théorie scientifique un homme et une société modèles. » « Science has become an idol that will magically cure the evils of existence and transform the nature of man », écrivit Hannah Arendt, citée par Desmet. L’eugénisme et le darwinisme social à la base du nazisme et le matérialisme historique à la base du communisme en ont constitué des exemples tragiques.

Il ne s’agit pas de critiquer la science en tant que telle mais les dérives auxquelles a conduit la présomption que l’univers est un tout dont tous les éléments sont mesurables et le comportement est prévisible, une absence d’humilité épistémologique propre à l’idéologie qui prête à croire que le monde serait mieux géré par des experts et des technocrates. La crise du coronavirus a montré que ce n’est pas une vue de l’esprit : l’incertitude et la peur suscitées par le virus nous ont soudainement rapprochés d’une société dans laquelle les chiffres ont valeur absolue de vérité.

Or, ils n’offrent qu’une apparence d’objectivité. Ils mesurent rarement des objets unidimensionnels et ne se départissent pas d’un degré de subjectivité et d’interprétation. C’est notamment le mérite du mathématicien Benoît Mandelbrot d’en avoir démontré la relativité. Les statistiques et prévisions relatives à la pandémie et aux campagnes de vaccination n’y ont pas échappé.

Mattias Desmet en dresse un constat détaillé et s’étonne notamment de ce qu’à aucun moment un quelconque modèle n’ait tenu compte des dommages collatéraux des mesures prises dans le cadre de la lutte contre le virus. Des épidémiologistes témoignèrent devant le parlement britannique que cela n’entrait pas dans le champ de leur expertise. Cela en dénote clairement le caractère limité.

Le principe d’indétermination

Rien de bien neuf en vérité, rappelle Desmet, Heisenberg a obtenu le prix Nobel de physique pour son principe d’indétermination suivant lequel il n’est pas question que nous ne puissions pas encore être certains, mais bien que nous ne pourrons jamais l’être.

Chacun qui y a intérêt en profite pour choisir des données qui le confortent dans ses préjugés. Leur apparence d’objectivité renforce irrésistiblement l’illusion de réalité de la fiction idéologique qui les sous-tend et sert in fine ceux qui prétendent que la seule solution aux problèmes complexes de notre époque réside dans la mise en place d’un système technocratique. En cela, le fanatisme à l’égard des données, propre à l’idéologie mécaniste, est non seulement infondé mais dangereux car, relayé par des médias avides de sensationnalisme et inféodés aux pouvoirs politique et économique, il favorise l’émergence d’une société totalitaire sur base de l’idéologie dominante, laquelle jugée par définition supérieure à toutes les autres justifie la suppression de ces dernières.

L’incertitude et l’angoisse qui ont marqué le début du XXIe siècle, à commencer par les suites des attentats terroristes qui ont fourni un premier prétexte à une réduction drastique de la sphère privée, ont suscité dans la population un double phénomène de repli sur soi (une forme de narcissisme dont les signes sont divers et multiples) et d’avidité pour les règles en tous genres (un besoin de se libérer des responsabilités qui incombent au libre arbitre et de s’en remettre à une autorité dans un nombre sans cesse croissant de domaines – laquelle autorité ne rechigne pas, pensez aux règles de « bonne conduite » en ce qui concerne les luttes contre les discriminations, le changement climatique, le coronavirus et aux restrictions à la liberté d’opinion et d’expression).

Ces règles et restrictions exacerbent les problèmes auxquels elles visent à remédier, estime Mattias Desmet, et elles épuisent psychologiquement la population. « C’est cet état de la population – angoissée, socialement atomisée et avide de guidance et d’autorité – qui sert de ferment idéal, écrit-il, à l’émergence d’un groupe social spécifique qui s’est manifesté de manière de plus en plus forte à travers la tradition des Lumières et constitue le socle psychologique et social de l’État totalitaire : la masse. » José Ortega y Gasset n’écrivait pas autre chose il y a près d’un siècle, cette chronique y a fait référence précédemment. (A suivre)

De psychologie van totalitarisme, Mattias Desmet, 272 pages, Pelckmans Uitgevers. (Première partie de la recension via le lien.)

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(Cet article sur la psychologie du totalitarisme a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4050 du mercredi 24 août 2022.)

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3 commentaires

  1. Belle analyse monsieur Godefridi !

    Une seule solution , que vous appliquez très bien : garder son esprit d’ analyse et de critique , penser un peu en dehors des clous et oser réfléchir dans une autre voie comme vous nous le proposez souvent .

    Toujours agréable de commencer son week-end en vous lisant …

    Michel DUBAIL

  2. Merci pour ce texte clair et réaliste! Il est bien un peu incomplet – le livre l’est sans doute – car il n’aborde pas l’incapacité de la plupart des humains à être vraiment libres et dignes… ils ont besoin de règles pour vivre sans trop d’angoisse et se laissent facilement mener vers le totalitarisme.

  3. Analyse intéressante, mais que préconise concrètement Mattias Desmet pour remédier à cette situation et mieux rencontrer les objectifs des Lumières, sinon une meilleure information sur les enjeux et une éducation plus ciblée sur ces derniers, tout en insistant sur les moyens dont dispose notre société démocratique pour remédier à ses dysfonctionnements éventuels.

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