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La psychologie du totalitarisme (3) : La montée en puissance de la masse

La psychologie du totalitarisme (3) : La montée en puissance de la masse Posted on 10 septembre 20222 Commentaires

Dans sa Réponse à la question « Qu’est-ce que Les Lumières ? » (1784), Emmanuel Kant écrivit : « Les Lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre. Elle est due à notre propre faute lorsqu’elle résulte non pas d’une insuffisance de l’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude. Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Telle est la devise des Lumières. »

Un siècle et demi plus tard, on en était arrivé, par une sorte de phénomène effroyable, à l’opposé de ce à quoi l’on s’attendait. Avec la montée du nazisme et du communisme, émergea un nouveau type d’État, totalitaire, que la philosophe Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme distingua de la dictature pure et simple par ses aspects socio-psychologiques, à savoir un processus de formation de masse, dont Mattias Desmet, c’est l’objet de son livre sur La psychologie du totalitarisme, estime qu’il est tout à fait d’actualité. « Différents présages, écrit-il, donnent à penser qu’une nouvelle sorte de totalitarisme (technocratique) est en train d’éclore. »

Quatre conditions favorisent, selon Mattias Desmet, l’apparition d’un tel processus psycho-social. Ce qu’il appelle l’idéologie « mécanistique » a fini par mener à tous les quatre : l’isolement social ; la perte de sens de l’existence ; un sentiment d’angoisse diffuse et d’inconfort psychologique au sein de la population ; la frustration et l’agressivité qui en résultent et se donnent libre cours.

Deux principes moteurs

Ces conditions découlent les unes des autres et s’alimentent. Il suffit alors que les médias de masse propagent une narration crédible comme catalyseur pour qu’une société individualiste et rationnelle bascule brutalement dans un état opposé, une forme de collectivisme irrationnel. Peu importe que la narration soit juste ou ne le soit pas, pour autant que la masse y croit. S’instaurent alors une pseudo-solidarité dont les deux principes moteurs, fallacieux et vieux comme le monde, sont l’argumentum ad populum et l’argumentum ad auctoritatum, sources d’intolérance et d’autoritarisme, ainsi que, selon l’expression d’Hannah Arendt, la « banalité du mal ».

Comment pourrait-on feindre d’ignorer que lesdits principes aient été à l’oeuvre dans nos sociétés frappées ces deux dernières décennies par le terrorisme, le changement climatique, le coronavirus ? En vérité, les idéologues sont à ce point fanatiquement aveuglés par leur propre idéologie qu’elle rend à leurs yeux légitimes la manipulation, le mensonge et la tromperie. L’enjeu n’est-il pas de construire le meilleur des mondes possibles et ne justifie-t-il pas tous les expédients ?

Et, c’est à ce niveau que se manifeste dans une société totalitaire la volonté de réduire la richesse lexicale du langage humain à la simplicité de celui des symboles et des signes. Pendant l’épisode du coronavirus, cela se traduisit par les notions consécutives exprimées par les omniprésents experts (flatten the curve, crush the curve, prevent the curve) qui toutes contribuèrent à entraver la liberté de disposer de soi, quand ce n’était la liberté de s’exprimer, et à renforcer le contrôle social.

Que l’on ne se trompe pas, ce qui entraîne ce type de situation ce ne sont pas les meneurs qui en tirent éventuellement parti, mais les narrations et l’idéologie qui les sous-tend. « Les idéologies possèdent chacun et n’appartiennent à personne, écrit Mattias Desmet ; chacun y joue un rôle, personne n’en connaît le script entier. » C’est ce qui différencie le totalitarisme du complot.

Ce dernier s’ourdit dans le secret par quelques initiés ; la pensée unique, par contre, opère au vu et au su de tous et contamine tous les rangs de la société : le pouvoir politique, le monde académique, la justice, la police, les médias, jusqu’à une grande partie de la population. A travers elle, la masse, et plus encore de notre temps, cherche à exercer un contrôle absolu sur la société entière.

Le Grand Bond en avant

Le passage de la démocratie à une technocratie totalitaire, dans lequel la crise du coronavirus aura constitué le Grand Bond en avant, est parfaitement en phase, juge Desmet, avec la pensée mécaniste qui considère l’homme et le monde comme des machines et, à ce titre, susceptibles d’être réparés. Cela fait partie de sa logique, de même que le fait que dans un tel univers ce soient les experts qui prévalent. Ne sont-ils pas censés avoir une connaissance supérieure des mécanismes qu’ils sont censés ajuster ?

Que des instituts soient créés et des projets de société futuriste développés par la suite par des gens éminemment riches ou influents (le Great Reset du World Economic Forum de Davos, par exemple) ne change rien à la nature socio-psychologique du phénomène à la base de la prégnance idéologique – ni à ce qu’il ne faille y voir une conspiration planifiée de haut en bas, dans le secret et avec une intention malveillante. En d’autres termes, si plan totalitaire il y a, il suit l’opinion publique plutôt qu’il ne la précède. Le totalitarisme n’est pas le produit d’une élite, mais bien de la masse.

Ceci posé, il est évident que la mécanisation, l’industrialisation, la technicisation et la médiatisation de notre société ont abouti à fortement centraliser le pouvoir et que ce dernier, entre les mains d’un nombre restreint d’acteurs, n’est pas nécessairement exercé, loin s’en faut, de manière scrupuleuse. Quand, dans les hautes sphères du pouvoir et de l’industrie, on corrompt, manipule, dissimule pour conduire des stratégies douteuses, il reste bien sûr qu’il puisse y avoir lieu de parler de complot. C’en est même la définition.

De psychologie van totalitarisme, Mattias Desmet, 272 pages, Pelckmans Uitgevers. (Première partie et deuxième partie de la recension via les deux liens. A suivre. Dernière partie à paraître samedi prochain.)

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(Cet article sur la psychologie du totalitarisme a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4051 du mercredi 31 août 2022.)

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2 commentaires

  1. EXACT! « Le totalitarisme n’est pas le produit d’une élite, mais bien de la masse. »
    Et j’observe de plus en plus que les gens s’ennuient à périr – eux qui devaient se battre pour survivre ont maintenant tous les droits – et cet ennui mène au pire…..

  2. Copié-collé d’un extrait de Pierre Chaillot de « Décoder l’éco » : « On a fait peur aux gens de manière très forte, la théorie du contrôle des foules a fonctionné. La paresse intellectuelle naturelle implique que l’on peut faire faire à peu près n’importe quoi aux gens. »

    Et Pierre Chaillot de conclure : « Quelle que soit l’expérience qu’on met en place, il y a toujours un nombre significatif de personnes qui ne se laissent pas avoir, à peu près autour de 5%. On a bien vu que ça n’avait aucun rapport avec le niveau d’éducation des gens. Il y a eu de grands chercheurs qui se sont rebellés, et puis il y a eu aussi des gens pleins de bon sens, quel que soit le niveau de diplôme. »

    « Il ne faut pas se laisser faire. Il faut continuer à donner de l’information, refuser les choses quand elles sont complètement stupides, ne pas compter sur la totalité de la masse des gens pour s’investir à sa place, il faut le faire personnellement, fermement, sans s’arrêter. C’est nécessaire et ça suffit à ne pas tomber dans la dérive totale. »

    Veut-on faire partie des 5% et vivre une existence de parias pour des gens indifférents ou faire sécession de manière intellectuelle et, par aprés, physique ?

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