Posted in Littérature Société

Rocky, dernier rivage (Thomas Gunzig)

Rocky, dernier rivage (Thomas Gunzig) Posted on 19 août 2023Laisser un commentaire

C’eût pu être Rocky, dernier ravage – les lecteurs découvriront à la fin de ce roman d’anticipation du Belge Thomas Gunzig pourquoi – mais c’eût été une allusion trop évidente à Ravage, le roman post-apocalyptique paru en 1943 de René Barjavel qui décrit le chaos dans lequel plonge une société mature à la suite de la survenance inopinée d’une catastrophe. En outre, chez Gunzig, qui fait sienne la théorie du réchauffement climatique d’origine anthropique, la catastrophe n’a rien de soudain. Elle était dûment prévisible. L’homme, ça a toujours été « cheveux longs, idées courtes », c’en était déjà ainsi bien avant que Johnny ne le chante.

Depuis que les premiers hominidés apparurent il y a plusieurs millions d’années, la nature humaine, « mère de toutes les brutalités et de toutes les souffrances », n’a pas changé. Elle est restée de sauver sa peau, estime Gunzig, et quant à choisir entre le long et le court terme, la priorité a toujours été accordée au plus urgent, quitte à l’imposer au monde entier et à déverser des torrents de sang. « Leurs cerveaux leur donnaient une merveilleuse maîtrise technologique, écrit-il, mais le sens moral resterait un horizon théorique. » Puis, apparurent les premières civilisations, lesquelles pour « justifier l’injustifiable » s’inventèrent des religions. L’une d’entre elles, au départ une simple secte, la religion chrétienne, réussit à se faire une belle place au soleil, et une dissidence, la Réforme protestante, donna naissance au « système économique » que l’on appela le libéralisme et qui permit à la nature humaine – à la peur, à l’avidité, au court terme – de se donner libre cours, d’autant plus libre qu’amplifié par la Révolution industrielle.

Satané Fils de p***

Arriva, avec le recours impénitent aux sources d’énergies fossiles génératrices de gaz à effet de serre et la maîtrise de techniques de plus en plus avancées, ce qui devait arriver : un dégel massif du permafrost sibérien libéra un virus d’un autre âge qui s’attaqua au blé, lequel, devenu un enjeu de la plus haute importance, fut le motif d’une guerre nucléaire entre la Russie et la Chine, cette dernière ayant, sous la pression de la rue, arraisonné en haute mer des navires qui transportaient la précieuse céréale. L’un des missiles chinois s’abattit sur une région lacustre où se situait un laboratoire ultra-secret dans lequel les Russes avaient développé un virus chimère, petite merveille biotechnologique composée d’un morceau d’ADN de l’encéphalite équine vénézuélienne, d’un morceau de variole et d’un morceau d’Ebola. Le lac et tout ce qui l’entourait ayant été vaporisés à quelque 12.000 mètres d’altitude par la chaleur dégagée par l’explosion nucléaire, le Fils de p*** (le nom dont fut baptisé l’arme bactériologique) eut tout loisir de se laisser emporter par les jet-streams et de se diffuser en pluies fines sur des milliers de kilomètres avant que d’être transmis entre les humains et semer la mort à tout va.

C’est à ce moment-là que Fred, le riche entrepreneur pater familias d’une famille avec deux enfants, avait reçu un appel de Safety for Life, l’agence avec laquelle il avait contracté un package de survie all inclusive en vue de se mettre à l’abri sur une île isolée de l’océan Atlantique dans une propriété pourvue de tout ce qu’il fallait pour voir venir au besoin jusqu’à la fin de leurs jours et d’un couple de concierges pour le ménage et l’entretien. C’est sur cette île, « trop loin de tout, trop petite, trop insignifiante pour attirer l’attention de qui que ce soit », qu’au début du roman de Thomas Gunzig on retrouve Fred, sa femme Hélène, leurs enfants Alexandre et Jeanne, et le couple de concierges, Ida et Marco, tandis que le monde s’enfonce dans le chaos. « Ceux qui ne mouraient pas du virus mouraient de l’anarchie causée par la peur. Et ceux qui ne mouraient pas de l’anarchie mouraient du virus. »

All dead, all dead

Arto Paasilinna (1942-2018) a traité les mêmes thèmes dans Le cantique de l’apocalypse joyeuse (le havre de paix au milieu du désordre global et de la guerre nucléaire) et dans Prisonniers du paradis (l’organisation de la vie sur une île paradisiaque des rescapés de l’amerrissage forcé d’un avion de ligne), si ce n’est que Thomas Gunzig ne les aborde pas sur le ton facétieux de l’écrivain finlandais mais sur un ton moralisateur ; que tout avait en principe été prévu avant l’effondrement planétaire pour le séjour des rescapés dans leur refuge tout confort ; qu’il ne s’agit pas des frasques alcoolisées et libidineuses de vingt-huit bûcherons finlandais et vingt-six sages-femmes suédoises mais d’un huis clos familial vécu à coup de tranquillisants et d’expédients, sans aucune perspective de retour à une quelconque normale après que les satellites eurent cessé de fonctionner, que le monde se soit tu et qu’une tempête magnétique eut effacé des serveurs de leur île refuge les dizaines de milliers de films, livres et autres fichiers qui s’y trouvaient stockés, ne laissant pour tout divertissement qu’un seul film, vous l’aurez deviné : Rocky.

« All dead, all dead / All the dreams we had / And I wonder why I still live on / All dead, all dead » : Gunzig cite ces paroles de la chanson de Queen en exergue de Rocky, dernier rivage. Et l’un de ses personnages de s’interroger : « Peut-être que la civilisation n’est qu’un déguisement sous lequel vivent d’affreux animaux. » Sortie prévue à la rentrée. En effet, ce n’est pas une lecture de vacances mais plutôt de retour au binz.

Rocky, dernier rivage, Thomas Gunzig, 368 pages, Editions Au Diable Vauvert.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4100 du mercredi 9 août 2023.)

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