Son éditeur parle de Touchdown Journal de guerre comme d’un « récit d’autofiction, d’autodérision et d’autodestruction », « confession d’un homme ne supportant plus le bruit et le chaos du monde extérieur » ; l’auteur, dans sa dédicace, d’« une réflexion sur l’américanisme qui nous submerge, rarement pour le meilleur, souvent pour le pire ». Le pire, de même que l’américanisme, il connaît. Il en avait traité dans son premier opus, Voir le pire, son étude de l’altérité dans l’oeuvre de l’écrivain américain Bret Easton Ellis comme remède à l’épidémie de supériorité morale. Suivirent Les Petites Souris et Hyper ! Hyper ! Juste à côté du coeur, radiographies de la société française qui font de l’auteur le digne héritier de langue française de son modèle américain.
Olivier Amiel est avocat et docteur en droit public et a été mandataire public. Un type sérieux, quoi ! (L’auteur de cette recension est lui-même juriste de formation et prêche pour sa paroisse.) Sans doute Amiel écrit-il pour évacuer un trop-plein de froide logique sociétale. Toujours est-il que sa thèse de doctorat abordait déjà la question de l’impérialisme culturel nord-américain. Ses récits s’inscrivent dans cette lignée. Il dédie Touchdown à son père et à Léo, son fils on imagine, l’un intervient en voix off (de même que le psy de l’auteur et sa « voie intérieure »), l’autre est l’un des personnages du récit. La voix paternelle lui reproche ses anglicismes, sa voie intérieure lui conseille la patience, son psy lui parle de Beckett qui a vécu l’Humiliation d’avoir connu le succès tardivement.
C’est ça le point de départ de ce récit que l’on devine aisément autobiographique, fût-il empreint de fiction. L’auteur vit comme une humiliation traumatisante d’avoir été snobé pour un prestigieux prix littéraire qui lui semblait destiné pour son deuxième roman, auquel la presse avait réservé un excellent accueil. Adieu veau, vache, cochon, couvée, en l’occurrence, outre le prix littéraire, un entretien avec une grande plume dans un quotidien national et une émission de télévision. En guise de cure, il se passionne pour le football américain, en version originale et en version française, car sa pratique et son folklore ont, paraît-il, débarqué en France, pan inattendu de l’américanisation à tout va. A chacun son rêve américain ! Le Redneck lambda a pour cousin l’habitant de la France pavillonnaire et suburbaine.
L’amour du foot américain lui est venu en regardant des matchs à la télévision et en assistant à des rencontres avec son fils. Olivier Amiel a d’autres références pour évoquer le sujet avec autorité : il a écrit pour Le Figaro la recension du deuxième roman de l’écrivain américain Don DeLillo, End Zone, qui date de 1972 mais n’a été traduit en français qu’un demi-siècle plus tard, et qui se déroule dans le milieu du foot américain. L’écrivain italien Luigi Pirandello, cité par Amiel, en avait averti : « L’américanisme nous submerge. (…) L’argent qui circule dans le monde est américain et derrière cet argent court le monde de la vie et de la culture… » C’était dans les années vingt du siècle passé.
Ce qu’il y a d’étonnant (ou de détonnant) à cet engouement pour le foot américain est qu’il va à contre-courant du zeitgeist d’hypersensibilité et de déconstruction masculine. Ne nous voilons pas les yeux : dans sa forme actuelle, il n’y aura jamais que des hommes pour pratiquer ce sport violent à tel point qu’il peut vous laisser tétraplégique pendant le restant de vos jours. C’en est le sel. Amiel cite Ernst Jünger à propos de l’exaltation ressentie par les jeunes soldats au début de la Première Guerre mondiale : « Elevés dans une ère de sécurité, nous avions la nostalgie de l’inhabituel, des grands périls. La guerre nous avait donc saisis comme une ivresse. »
Paul Valéry, aussi cité par Amiel, parle d’une crise de l’esprit et d’une panne de capital culturel due à la raréfaction des hommes qui savent lire, entendre, écouter, voir, relire, ré-entendre et revoir. Plus explicite, Régis Debray dit qu’au XVIe s. l’oeil, organe du savoir, avait triomphé de l’oreille, organe du préjugé, et que le XXe s. a suivi « le chemin inverse, du silence vers le bruit, du trait vers la tache ». Bien qu’en pleine « bifurcation », le narrateur (pour autant qu’il ait bien pris le relais de l’auteur à ce stade) refuse de rallier « les épigones de l’anti-occidentalisme qui font le lit de nouveaux impérialismes – chinois, russe, islamiste ». « Ecologiste », ajouterions-nous pour faire le compte.
A travers l’écran de télévision retransmettant les matchs de foot américain dans son Basement, c’est dans le personnage de Venator, l’anarque de l’Eumeswil d’Ernst Jünger qu’il se voit : « Je suis résolu à me laisser captiver par rien, à ne rien prendre au sérieux, en dernière analyse… » « Etre libéré du bruit des passions extérieures et libre dans l’intérieur de mon être souverain », explique-t-il dans ses propres mots. Et, sans s’en laisser conter par son psy qui lui reproche de valider ses choix de vie par rapport à des idées préconçues, il cite Montesquieu : « C’est une chose extraordinaire que toute la philosophie consiste dans ces trois mots : Je m’en fous. »
Touchdown, Journal de guerre, Olivier Amiel, 134 pages, Editions Les Presses Littéraires.
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