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Le Pouvoir : quelle en est la raison d’être ?

Le Pouvoir : quelle en est la raison d’être ? Posted on 28 septembre 2024Laisser un commentaire

« Le libéralisme est un enfantillage, la révolution une force. » C’est ainsi que s’exprimait Bismarck, le plus grand homme d’Etat occidental de la seconde moitié du XIXe siècle. Il disait du premier qu’il est facile de le mettre à la raison, de la seconde qu’il faut savoir s’en servir. Qu’a-t-il compris de son époque, s’interroge Guglielmo Ferrero dans Pouvoir, l’essai de philosophie politique de cet historien de la Rome antique et de la Révolution française, né en 1871 et mort en exil en Suisse en 1942, que Les Belles Lettres ont eu l’excellente idée de rééditer cette année. Il est d’une actualité confondante.

Bismarck n’a rien compris aux réalités de son époque, son aphorisme le prouve, estime Ferrero. Le libéralisme constituait pour la plupart des gouvernements occidentaux leur raison d’être, la source de leur légitimité, alors que la révolution – dont le credo n’a qu’un seul article, « il faut tout démolir », convenait Bismarck dans ses Pensées et Souvenirs – n’est jamais qu’une mystification. La thaumaturgie révolutionnaire fait fi de la légitimité, prétend « qu’il n’y a qu’à » changer de principes et d’en inventer de nouveaux. Cela ne s’est jamais passé ainsi dans l’histoire.

Principes de légitimité du Pouvoir

En quoi consiste la légitimité ? A un accord tacite raisonnable entre le Pouvoir et ses sujets sur des principes et des règles qui fixent l’attribution et les limites du pouvoir de manière telle qu’elles donnent satisfaction à l’un et aux autres (les hautes autorités de l’Union européenne auraient intérêt à y veiller). Les principes de légitimité ne sont pas nombreux et à aucune époque il n’a été question d’en choisir. Ils ne sont pas une fiction. Une démocratie légitime, par exemple, repose sur la réalité effective et efficace de la délégation du peuple et de la souveraineté de la nation et sur le diptyque de la liberté de suffrage et du droit d’opposition. Les révolutions aboutissent nécessairement, rappelle l’auteur, à l’enchaînement de l’une et à la suppression de l’autre.

L’homme est-il fou ? S’il l’est un peu, concède Guglielmo Ferrero, il ne l’est pas au point de vouloir changer continuellement le monde. Si le pouvoir est l’enjeu de luttes à travers l’histoire, ce n’est pas en raison d’un désir d’améliorer l’Etat, mais à cause de forces obscures qui agissent à l’intérieur des sociétés humaines et les empêchent de prendre une forme définitive. Francis Fukuyama eût pu s’en inspirer avant que de prononcer la fin de l’histoire. Ces forces invisibles et intangibles se situent au niveau intermédiaire entre la divinité et les hommes où les Romains voyaient à l’oeuvre ceux qu’ils appelaient genii, des génies bienveillants ou malveillants qui s’ingénient, c’est le cas de le dire, à influer sur leur destinée.

Le Pouvoir, c’est le droit de commander. Pourquoi certains l’ont-ils et les autres, le devoir d’obéir ? Quatre principes de légitimité se sont entremêlés au cours de l’histoire : héréditaire et électif, aristo-monarchique et démocratique. La majorité ne prouve rien, relève Ferrero, ni la capacité d’un homme ou d’un parti de gouverner, ni la vérité de leur doctrine, ni la sagesse des décisions. Un homme seul peut avoir raison contre l’univers entier. Quant au peuple, « masse énorme et informe d’êtres dont le plus grand nombre ne sont arrivés qu’à une préconscience crépusculaire d’eux-mêmes », souverain ? C’est le troupeau qui conduit le berger.

La peur, élément consubstantiel du Pouvoir

L’hérédité ne vaut pas mieux : la généalogie n’est pas plus une garantie que la majorité. En somme, dans les principes de légitimités, résume-t-il, l’élément rationnel n’est qu’accidentel, en rien consubstantiel. Il est un autre élément de légitimité du Pouvoir qui en est bien plus inséparable : la peur, celle de ceux qui obéissent au Pouvoir et celle de ceux qui l’exercent. La peur appartient à la nature humaine. Nul n’y échappe, pas même le Pouvoir, car celui-ci est l’apanage d’une minorité organisée face à des individus ou de petits groupes dispersés et le Pouvoir le plus fort et ses bras séculiers seraient paralysés en un rien de temps si tous ses sujets refusaient en même temps de lui obéir. Cela paraît impossible, si ce n’est que cela s’est produit le 14 juillet 1789 et pendant six semaines de refus d’obéissance. Ferrero s’étonne que les Français puissent commémorer l’événement. Il faudrait, écrit-il, ce jour-là se recueillir et méditer sur la destinée humaine.

En effet, la nature profonde des principes de légitimité est, selon lui, d’exorciser la peur, tant que les uns et les autres s’en tiennent aux règles auxquelles ils ont souscrit. Dès que l’une des deux parties s’en dédit, le consentement cesse et la peur réapparaît. C’est là la trame du passage de l’Ancien Régime à la Révolution française, de l’épisode de la Terreur, de l’avènement de Bonaparte et de sa déchéance, des événements qui ont ensanglanté l’histoire de l’Europe et du monde entier aux XIXe et XXe siècles.

Pour qu’une « Cité » puisse vivre et prospérer, il lui faut accepter l’un des « génies invisibles » de la souveraineté et l’appliquer avec loyauté, sans ruse ni perfidie. Une Cité peut aussi se confier à deux génies et être heureuse, encore faut-il qu’ils soient en accord. Le Malin, avertit Guglielmo Ferrero, reste aux aguets. « [L’esprit révolutionnaire] est une force permanente de l’histoire parce qu’il donne satisfaction à ce besoin obscur de révolte, que la raison justifie. » A l’heure où la liberté d’expression et d’opposition est menacée par ceux qui, aux affaires, les leurs et pas nécessairement les nôtres, se sentent précisément et non sans raison menacés, ce brillant ouvrage n’est-il pas, comme il a été dit d’entrée, d’une pertinence tout actuelle ?

Pouvoir, Les Génies invisibles de la Cité, Guglielmo Ferrero, 448 pages, Les Belles Lettres.

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