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« Ce qui vient » n’est pas nécessairement ce que l’on attend

« Ce qui vient » n’est pas nécessairement ce que l’on attend Posted on 23 octobre 2020Laisser un commentaire

« Le virus, c’est la solution. » Le propos, que Stéphane Paoli, ancien journaliste à Radio France où il passa 22 ans, certifie « sans cynisme ni insensibilité aux malheurs des familles touchées », est d’un sociologue, Jean Viard, qu’il a ajouté à sa liste initiale de quatorze « penseurs parmi les plus féconds » pour dessiner Ce qui vient, un autre monde possible dans lequel l’homme renonce à son hubris, à son complexe de centralité.

« Le projet ultra-libéral, qui ne mérite pas le nom de « modèle », est mis au ban des accusés [de la mondialisation, des choix économiques des années 1980 – le « there is no alternative » thatchérien –, des inégalités, de la fracture sociale, de la financiarisation, du court-termisme et d’autres calamités] par un « virus du pauvre » ». L’expression est de Jean Viard, l’acte d’accusation, de Stéphane Paoli, l’auteur de Ce qui vient.

Entre-temps, tel le joueur de flûte d’Hamelin, évoque-t-il, une adolescente a entraîné des milliers de jeunes de par le monde avant qu’elle n’en interpelle les gouvernants et les puissants à la tribune des Nations unies et ne les exhorte à ne pas laisser le monde se refermer sur elle et sur sa génération comme dans la légende. Stéphane Paoli rappelle ailleurs le lien qu’a fait Greta Thunberg entre l’oppression esclavagiste, coloniale et patriarcale dont elle incrimine l’Occident et le dérèglement climatique. Le décor pour le voyage dans « le monde de demain » est ainsi planté.

Le retour du mythe

« Ce qui vient, c’est que, « grâce à la physique », récuser la place centrale de l’homme et le géocentrisme est démontrable ». Stéphane Paoli en appelle à témoigner l’astrophysicien Michel Cassé : « L’univers n’a ni centre ni bord » et, de plus, « l’univers n’est pas au centre des plurivers. » Reste à démontrer l’origine du Big Bang et à remonter à l’infini des causes de toutes les causes pour établir une rationalité aristotélicienne, si ce n’est que plus on en sait, moins on en sait. Comme le dit Démocrite : « Donnez-moi les atomes et le vide, le reste n’est que commentaire. »

Ça tombe à point, Ce qui vient, d’après le spécialiste de l’Internet Daniel Kaplan, c’est le retour des communautés chamaniques, le temps du mythe, de nouvelles formes de relations et d’intelligibilité, d’interprétation des signes et de la prise en compte de l’existence d’autres formes d’être. Le réseau ne répond-il pas à l’aspiration première des communautés américaines des années 1970 ? Ce qui vient, c’est la remise en question des distinctions opérées par l’Occident entre nature et culture, corps et esprit, émotion et raison, univers et plurivers

L’économie, nous y venons – comment pourrions-nous l’éviter ? – mais curieusement l’auteur fait appel à une sociologue, qui plus est une spécialiste de la généalogie conceptuelle, pour en parler. (Bruno Colmant, dans son Hypercapitalisme, faisait de l’économie une branche de la sociologie, mais doutons que Stéphane Paoli et lui se soient concertés.)

Le néolibéralisme mis au ban

Il est certes question des économistes Stiglitz (pour sa stigmatisation du néolibéralisme comme d’un fondamentalisme du marché) ainsi qu’Artus et Aghion (pour leur procès du libéralisme et leur appel à museler la finance), mais il est surtout question d’une « utopie réaliste » qui réponde aux « inégalités » (qui souffrent de la lecture darwinienne des libéraux) et au « chaos climatique » (qui résulterait de l’idée de surpuissance des hommes présente dans l’oeuvre de l’écrivain américain James Ellroy – à moins que ce ne soit Ayn Rand, l’auteur de The Fountainhead ? – dont tous les tycoons de la Silicon Valley – et Donald Trump, évidemment – seraient fans).

Rassurons-nous, le changement est en vue et la fin de cette corruption morale de toutes les élites par l’idéologie néolibérale que ce soit au Vénézuela, en Russie, en Algérie (sic, re-sic et encore sic !) et bien sûr aussi aux Etats-Unis, au Brésil – et même en France. La France, néolibérale – pour ce que cela veut dire – voire même libérale tout court ? Si c’était le cas, cela se saurait ! Il nous faudrait, selon la sociologue de service, « réintroduire l’enjeu de la liberté responsable à la place du mode libertarien » et former les managers en conséquence ! Libertarienne, l’élite française ? Allons donc !

Le danger de convoquer des spécialistes d’horizons divers pour asseoir une thèse – que peu ou prou libéralisme et capitalisme ou, du moins, les idées préconçues que l’on s’en fait, sont responsables de tous les maux de la terre – est que certains témoignages finissent, peut-être à l’insu de leurs auteurs et de l’auteur lui-même, par en apporter la réfutation. En voici quelques exemples, il y en a d’autres. C’est là tout l’intérêt de cet essai qui se veut fécond.

Le virus du top-down

Abordant un spécialiste de la robotique, Pierre-Yves Oudeyer, Stéphane Paoli l’interroge sur le lien entre la Covid-19 et l’auto-organisation. Réponse : « Ce qui ne fonctionne pas bien dans la réponse à ce virus, ce sont les réactions rapides top-down, la manière dont les Etats ont décidé verticalement d’une stratégie. Mais, finalement, ce qui nous sauve aujourd’hui, c’est tout simplement le comportement individuel des gens suivant des règles simples, de bon sens […] »

Il ajoute que l’auto-organisation n’est pas un mécanisme. Elle caractérise les systèmes dans lesquels apparaît une organisation globale qui n’est pas le résultat d’un ordre prédéterminé venant du sommet et s’appliquant à tous. Elle est le fait d’interactions au niveau local « entre les composants du système qui n’ont pas forcément le plan de ce qui va émerger ». N’est-ce pas là le principe au coeur de la théorie économique libérale ? (Et, cela n’a bien sûr rien à voir avec ce qui pourrait se tramer entre copains et coquins dans les plus hautes sphères du pouvoir politique et financier, quel que soit le type de régime dans lequel ce pouvoir s’exerce !)

« Les systèmes complexes, explique encore Pierre-Yves Oudeyer, s’auto-organisent par le biais de sous-systèmes entre plusieurs échelles de temps et d’espace. » Bienvenue dans l’univers fractal ! Et le climat, alors ? Malgré la puissance des algorithmes et de l’auto-apprentissage, pour ce roboticien, « le robot n’est pas la réplique [de l’homme] » et de même « le modèle du climat n’est pas la réplique du climat ».

Le témoignage du polytechnicien et géopolitologue Thierry de Montbrial va dans le même sens : les systèmes complexes opposent une impossibilité radicale à ce que l’on déplie et analyse dans le détail la totalité de leurs interdépendances. Le GIEC lui-même l’admet dans son troisième rapport d’évaluation.

Laissons à l’anthropologue Marc Augé, autre penseur interrogé par Stéphane Paoli, provisoirement le mot de la fin : « L’optimisme raisonnable est plus raisonnable que le pessimisme. Je fais le pari de l’intelligence. Dans l’Histoire, c’est quand même l’intelligence qui gagne, et si on compare les siècles, on peut croire à la notion de progrès. Je suis fatigué des dandys qui nous condamnent à la catastrophe. » Ne peut-on donc jamais rien prédire ? « Même Marx s’est trompé ! », rétorque-t-il.

Ce qui vient, Stéphane Paoli, 288 pages, Editions Les Liens qui Libèrent.

(L’article ci-dessus a initialement été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 3953 du vendredi 16 octobre 2020.)

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