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Eloge de l’inégalité (Jean-Philippe Delsol)

Eloge de l’inégalité (Jean-Philippe Delsol) Posted on 6 novembre 2021Leave a comment

« La diversité même leur est odieuse : ils adoreraient l’égalité jusque dans la servitude. » Dans L’Ancien Régime et la Révolution, Tocqueville (1805-1859), le philosophe et homme politique qui nous a laissé une analyse de la démocratie, ses vertus et ses aléas, illustrée par l’exemple américain au XIXe siècle, cité par Jean-Philippe Delsol dans l’introduction de l’Eloge de l’inégalité, mettait déjà en garde contre les égalitaristes.

Piketty constitue le parangon de l’égalitariste au XXIe siècle, du moins sur le plan de la théorie. Les centaines de milliers d’exemplaires de son Capital au XXIe siècle vendus en France et à l’étranger, notamment 450.000 aux Etats-Unis, cet essai pseudo-scientifique dans lequel l’économiste étaie une critique en règle de l’économie libérale et de la liberté individuelle, indiquent à suffisance que le thème de l’égalité reste d’actualité.

Bien que ce ne soit nullement le projet de Jean-Philippe Delsol de se poser en tant qu’anti-Piketty – il ne le mentionne qu’incidemment dans son essai –, l’Eloge de l’inégalité est à l’antipode du Capital au XXIe siècle. Avocat fiscaliste et président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF), un centre de réflexion européen, Delsol fait plus oeuvre de sociologue et traite de l’inégalité (et de l’égalité) de la même manière englobante que l’avait fait Helmut Schoeck (1922-1993) pour L’Envie dans l’analyse qu’il en réalisa comme l’expression d’un phénomène psychique et social, à travers les âges et sous plusieurs angles.

Voyeurisme social

L’objet de l’Eloge s’y prête : la quête de l’égalité ne relève-t-elle pas de la jalousie et du dessein de se procurer une part du bien d’autrui à meilleur compte ? Ce n’est pas aussi simple, bien sûr, encore faut-il faire la part des choses entre l’égalité en droit, qui délimite le champ dans lequel se déploient la liberté et les possibles, et l’égalité de condition matérielle qui ne peut exister que dans la pauvreté pour tous – l’histoire en témoigne a profusion – et la présence d’un gendarme derrière chacun afin de s’assurer qu’aucun jamais ne se démarque des autres.

La seule solution au problème du Qui custodiet ipsos custodes ? qui en résulte est alors que chacun soit le gardien des autres. Le fantasme de l’égalité de condition matérielle explique la propension des sociétés contemporaines à déshabiller tous leurs citoyens, aussi inoffensifs soient-ils pour leurs concitoyens sous tous rapports, et l’institutionnalisation du voyeurisme social et de la délation.

Mais, avertit l’auteur de l’Eloge, cette uniformité ne peut déboucher que sur la médiocrité, car « les hommes ne changent guère. Les égalitaristes croient supprimer l’envie quand ils ne font que détruire les ressorts de la société et parfois exacerber la mauvaise envie au détriment de la bonne », c’est à dire attiser l’envie tout court et décourager l’émulation.

« L’esprit français hésite depuis plus de deux siècles entre 1789 et 1793, écrit Jean-Philippe Delsol, entre l’égalité de droit de Voltaire pour respecter les individus et l’utopique retour à l’égalité naturelle de Rousseau à l’origine de tous les collectivismes égalitaristes. » Or, il faut bien admettre que l’inégalité et l’envie relèvent plus de la nature humaine que l’égalité, raison pour laquelle cette dernière ne peut exister que dans des sociétés fermées, encarcanées.

Abêtisation de l’homme

Toujours est-il qu’avec son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau en a amenés beaucoup à considérer que l’égalité relève de la nature humaine et l’inégalité, de leurs institutions. Voltaire, cité par l’auteur, s’en amusa et, remerciant Rousseau de lui avoir envoyé son livre, qu’il jugeait « contre le genre humain », lui écrivit dans une lettre datée du 30 août 1755 : « On a jamais employé autant d’esprit à vouloir nous rendre Bêtes . »

Convenons-en avec Jean-Philippe Delsol, que de bêtises cette égalité-là ne fit-elle dire (elle est à la base de la French theory dont s’inspire le déconstructionnisme social qu’est le wokisme) ; que de crimes ne furent et ne seront-ils commis en son nom (elle servit à instrumentaliser les totalitarismes rouges et noirs du XXe siècle ; n’imprègne-t-elle pas le totalitarisme vert d’aujourd’hui ?) ; que de tragédies n’a-t-elle pas provoquées ; quelles monstruosités devons-nous encore en appréhender ?

Et, bêtes, Voltaire avait raison contre Rousseau, l’égalité absolue nous rendra. L’égalitarisme s’est fanatisé. Non seulement il démotive le talent, l’excellence et la réussite parmi les individus, mais il vise désormais aussi à uniformiser ces derniers et à les mettre sur un pied d’égalité avec le monde animal et le monde inerte en leur conférant des droits qu’ils sont bien incapables d’exercer par eux-mêmes, ce qui laisse au pouvoir en place le soin de les défendre.

Ce ne sont pas les inégalités – en quoi sont-elles moralement répréhensibles ? – qu’il faut combattre, c’est la misère humaine et la meilleure manière de combattre cette dernière, l’histoire en a apporté la preuve, ce n’est pas d’abolir la propriété et d’instaurer une stricte égalité de condition matérielle. Aristote, cité par l’auteur, en convenait : « On prend en effet très peu soin de ce qui appartient en commun au plus grand nombre : chacun se soucie au plus haut point de ce qui lui appartient en propre. »

« La misère est une forme de honte de l’humanité, écrit Jean-Philippe Delsol qui signe ici quelques-unes des pages les plus sensées sur le sujet du développement économique et social, elle est sa lèpre d’autant plus ignominieuse qu’elle pourrait se soigner, non en imposant une égalité qui ne se décrète pas, ne se crée pas au forceps, mais en rendant à chacun de ceux qui en sont capables la responsabilité de leur vie, en leur permettant d’espérer une vie meilleure par leur propre initiative, en leur garantissant le respect de leur liberté et les fruits de leurs efforts. »

Eloge de l’inégalité, Jean-Philippe Delsol, 220 pages, Manitoba, Les Belles Lettres.

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(L’article ci-dessus a initialement été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4007 du vendredi 28 octobre 2021.)

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