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La société ouverte et ses ennemis (Karl Popper)

La société ouverte et ses ennemis (Karl Popper) Posted on 31 décembre 20222 Comments

Quand il est question d’individualisme méthodologique, d’une représentation du monde qui dans les sciences sociales fonde l’étude des phénomènes collectifs sur une approche ascendante (bottom-up), selon laquelle ils peuvent et doivent être décrits et expliqués à partir des actions des individus et de leurs interactions, trois noms sautent immédiatement à l’esprit : Ludwig von Mises, Friedrich Hayek et Joseph Schumpeter (cf. l’article de la semaine passée). Il en est un quatrième, dans la même veine, Karl Popper, sauf qu’à la différence des trois autres il n’était pas économiste, mais philosophe.

Dans sa préface à l’édition française de La société ouverte et ses ennemis, Karl Popper (1902-1994) raconte qu’à la fin de la Première Guerre mondiale il avait déjà rejeté le marxisme car il lui semblait « créer l’illusion que la violence est justifiée » alors que rien à ses yeux ne la justifiât. Il n’y eut dans l’Autriche de l’entre-deux-guerres, dit-il, d’autre alternative au marxisme que le fascisme, « la pire de toutes », aussi s’abstint-il de critiquer l’un au risque d’être pris pour un tenant de l’autre et ce n’est que lorsque l’Autriche fut envahie qu’il se décida à écrire son livre qu’il présente comme une attaque contre le totalitarisme et la tyrannie sous toutes leurs formes, qu’elles soient de droite ou de gauche.

Historicisme et collectivisme

Dans le premier tome de La société ouverte et ses ennemis, Popper étudie l’ascendant de Platon dans les théories historicistes et collectivistes modernes, celles qui accordent la prépondérance au groupe par rapport à l’individu dans l’étude du devenir, la classe dans le marxisme, la race dans le fascisme, par exemple. Car, il établit le lien entre la tradition historiciste moderne et la philosophie de Hegel, lequel fut à son tour influencé par les idées de grands penseurs de l’Antiquité, Platon entre autres. « Il est surprenant, dit-il, de trouver dans [ces idées] qui datent d’environ 500 ans avant J.-C. tant de traits de l’historicisme et de l’anti-démocratisme modernes. » Car, c’est bien de ça qu’il s’agit in fine !

Karl Popper insiste sur ce que son propos dans La société ouverte se limite à critiquer l’historicisme dans la pensée de Platon, à en dénoncer les tendances totalitaires seyant à ses ambitions politiques, et non à en juger dans sa totalité. (Popper fustige aussi toutes les tentatives de décrire par analogie le déclin et la chute des empires et des civilisations, citant celle d’Oswald Spengler dans Le Déclin de l’Occident comme étant sans doute la pire mais assurément pas la dernière…)

Que reproche à Platon Karl Popper qui, bibliophile impénitent, en a lu toutes les oeuvres ? Osons le dire ainsi : son idéalisme et son naturalisme, en ce que le premier se traduit par une volonté d’arrêter le progrès politique (lequel est néfaste dès lors que l’Etat s’écarte de son modèle original, idéal) et le second implique un retour à la nature (telle qu’on l’avait connue à « l’état initial »). Rousseau n’est pas loin, Marx non plus, l’écologisme encore moins. En effet, avec une prescience de notre époque qui justifie qu’on le relise, Karl Popper résume cet aspect du programme politique de Platon en ces termes : « Revenons au gouvernement ‘naturel’ de la foule des ignorants par la minorité des sages. »

Ni libéral, ni démocrate

Soyons encore plus précis : Platon n’était pas un démocrate. Idéalisme et naturalisme ne servent qu’à justifier dans sa pensée politique l’instauration d’un système de société de classe gouvernée par une élite auto-instituée qui jouirait bien sûr de certains privilèges dus à son rang, exercerait la censure, veillerait à l’éducation et à l’auto-suffisance de l’Etat afin qu’il ne dépende pas des commerçants ou, pire, que ses dirigeants ne se lancent dans le commerce. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne pourrait être fortuite.

Platon n’avait pas l’esprit libéral, ni probe. Popper est très dur à cet égard : « Jamais Socrate n’avait transigé quand sa probité intellectuelle était en cause. Platon, au contraire, s’engagea dans une voie où il ne cessait de la fouler aux pieds. Il se condamna lui-même à combattre la liberté de pensée et la recherche de la vérité. Il alla jusqu’à préconiser les pires supercheries politiques, le recours aux superstitions et, finalement, à la force brutale. Malgré la mise en garde de Socrate contre la misanthropie et la peur de la raison, il en vint à se défier des hommes et à fuir la discussion. »

Reste au crédit de Platon sa hantise de la tyrannie sur laquelle déboucherait nécessairement, selon lui, la démocratie ? Cette hantise vaut-elle qu’on établisse la tyrannie à titre préventif sous la forme d’une société archaïque – le choix de Platon – où éducation et justice sont subordonnées à une idée du bien commun incarné par l’Etat et où la magie remplace la raison ?

La société ouverte et ses ennemis, tome 1, L’ascendant de Platon, Karl Popper, 352 p, Editions Points.

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(Cet article a paru dans l’hebdomadaire PAN n° 4067 du mercredi 21 décembre 2022.)

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2 comments

  1. Platon n’avait que trop raison de se défier des hommes! Peu ont l’esprit libre et constructif, la plupart vivent dans le MOI et attendent tout des autres…. et l’éducation a besoin de la « necessitas » pour convaincre les jeunes de faire un effort, de se rendre utiles…..

  2. De Popper, j’ai retenu que ce qui est scientifique est réfutable. Ce qui est du domaine du religieux est irréfutable. Immense penseur libéral dont les écoles devraient (continuer à) présenter la pensée. Du moins dans tous les cours de « sciences exactes ».

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