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« Le Déclin » : Parallèle entre la crise de l’UE et la chute de la République romaine

« Le Déclin » : Parallèle entre la crise de l’UE et la chute de la République romaine Posted on 21 novembre 2020Laisser un commentaire

Palingénésie poursuit sa présentation de quelques éminents esprits belges contemporains avec l’historien David Engels, titulaire de la chaire d’histoire romaine à l’Université libre de Bruxelles et professeur de recherche à l’Instytut Zachodni en Pologne.

Son essai Le Déclin, paru en 2013, connut un succès considérable pour un ouvrage d’histoire. Il a été réédité pour la deuxième fois et augmenté en 2019 et entretemps traduit dans plusieurs langues. David Engels s’y penche sur les analogies historiques entre la situation de l’Union européenne et les facteurs ayant amené la disparition de la République romaine au Ier siècle avant J.-C. Il appartient, selon lui, aux sciences historiques de révéler les aspects intemporels de l’agir humain qui permettent de comprendre les conséquences futures de nos actions d’aujourd’hui.

Et de citer Montesquieu : « Comme les hommes ont eu dans tous les temps les mêmes passions, les occasions qui produisent les grands changements sont différentes, mais les causes sont toujours les mêmes. »

Il y a deux mille cent cinquante ans, Polybe avançait déjà la nécessité de « questionner le passé pour comprendre le présent et prévoir l’avenir ». D’autres dans l’Antiquité – Thucydide, Virgile, Denys d’Halicarnasse, Tite-Live, Sénèque – pointèrent le caractère cyclique de l’histoire et la possibilité de prédire le futur à partir du passé.

Analysant les facteurs qui ont entraîné la fin de la République romaine, des décennies de guerre civile et l’avènement d’un Etat autoritaire, l’Empire des Césars, David Engels s’attache à montrer qu’une comparaison du monde méditerranéen du Ier siècle avant J.-C. et de l’Europe contemporaine fournit des clefs pour comprendre notre situation – la décomposition de la société et des institutions – et une trame pour en anticiper l’évolution – l’émergence « d’un régime autoritaire dont la garantie de l’ordre et de la prospérité reposerait largement sur l’abrogation de la liberté politique et un Etat policier ».

En témoigne, dit-il, « la transformation des Etats constituant l’Union européenne en semi-provinces répondant à l’appel de Bruxelles (ou de Berlin) ». La vassalisation d’un Etat souverain tel que la Grèce en fonction d’intérêts supérieurs en a procuré un exemple clair. Un autre élément est cité, le mépris grandissant de la classe dirigeante européenne pour les règles élémentaires de droit (le rôle exorbitant joué par la BCE et la mutualisation des dettes malgré les vives réserves exprimées par le Tribunal constitutionnel allemand en ont encore récemment attesté).

Le problème identitaire

Mais, pour David Engels, le problème le plus sérieux et le plus dangereux se situe à un autre niveau, identitaire, à savoir dans la difficulté de définir une identité civique dans une société multiculturelle et universaliste. La République romaine y fut confrontée, l’Europe l’est d’autant plus que les repères traditionnels de l’identité culturelle (famille, religion, autorité, devoir, patrie) y ont été effacés. Que l’on se réfère à l’énoncé édulcoré de l’article 1bis du Traité de Lisbonne.

Surgit à cet égard la question (connue comme le paradoxe de Popper) de la tolérance face aux intolérants qui, à défaut d’avoir dû adhérer aux valeurs autochtones, cherchent à imposer les leurs, quitte même à enfreindre les valeurs considérées comme universelles (l’égalité hommes-femmes, la liberté d’expression, par exemple), d’autant qu’après avoir privé leurs citoyens de leurs structures traditionnelles, les sociétés occidentales les ont abandonnés dans un environnement dans lequel ils sont libres et indépendants, certes, mais aussi seuls et livrés à eux-mêmes.

Rien de neuf que ce sentiment de vulnérabilité, à vrai dire, Cicéron lui-même s’en plaignait dans une lettre qu’il envoya à Atticus : « Il n’est rien en ce moment, sache-le, qui me fasse autant défaut qu’un homme à qui je puisse m’ouvrir de tout ce qui me cause quelque souci ; qui m’aime, qui ait l’esprit bien fait, devant qui je puisse, quand je parle avec lui, ne rien feindre, ne rien dissimuler, ne rien cacher. »

Quant au religieux, facteur d’intégration parmi les plus anciens et les plus forts et caution spirituelle des liens sociaux, politiques et juridiques, c’est un domaine dans lequel l’Occident s’est discrédité à force de se confondre en excuses pour le passé (les croisades, l’Inquisition, le colonialisme, etc.) face à des religions qui gagnent en crédibilité sans avoir eu à affronter leur passé.

Paradoxalement, constate David Engels, la neutralité en matière religieuse et le rationalisme universaliste de l’Occident n’ont pas abouti à favoriser les idées des Lumières mais à affaiblir les religions traditionnelles et à laisser le champ libre à des religions étrangères participant à l’identité culturelle de leurs croyants.

La crise de la démocratie

La démocratie, considérée comme l’une des valeurs les plus représentatives de l’Union européenne, souffre pourtant elle aussi d’un déficit grandissant. Les citoyens s’en détournent (la participation aux élections pour le Parlement européen en atteste) et les politiciens la contournent quand le vote populaire les contrarie (comme lors des référendums sur la nouvelle Constitution européenne).

D’une part, les citoyens accordent moins d’importance à la liberté qu’à la sécurité et, d’autre part, la technicisation de la politique (que l’on songe à l’épidémie de Covid-19, au climat, à l’énergie) et les campagnes de propagande et de désinformation qui en résultent et qu’ils subissent les dissuadent de s’intéresser à la chose publique. David Engels parle d’état d’épuisement de l’énergie démocratique et d’érosion des institutions démocratiques et renvoie au titre d’un article de Herfried Münkler dans la prestigieuse revue Internationale Politik, « Lahme Dame Demokratie ».

De même dans la Rome du Ier siècle avant J.-C., la démocratie était-elle boiteuse. La désintégration institutionnelle de la République entraîna la désaffection du peuple à son égard et la consolidation d’une élite politique qui s’enferma sur elle-même et qui s’enrichit grâce aux avantages des postes qu’elle s’était appropriés. « […] C’est l’arbitraire d’une oligarchie qui décidait de tout ; les mêmes mains disposaient du trésor public, des provinces, des magistratures, des honneurs et des triomphes […] », écrivit Salluste.

A Rome, la déliquescence de la République poussa ses citoyens à lui préférer la stabilité politique, sociale et économique d’un régime autocratique, l’Empire des Césars. La crise de la démocratie et la crainte d’une crise économique et sociale sans précédent inciteront-elles les Européens du XXIe siècle à faire le même choix ? Si l’on en conçoit certains avantages, l’histoire romaine enseigne, par contre, les aléas d’un tel régime, de la « folie des Césars » à son anéantissement.

Le Déclin, La crise de l’Union européenne et la chute de la République romaine, Analogies historiques, David Engels, 384 pages, Editions du Toucan – L’Artilleur.

(L’article ci-dessus a initialement été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 3957 du vendredi 13 novembre 2020.)

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