Pour les nombreux Américains, Français, Suisses, francophones du monde qui suivent cette chronique et pour les Belges qui ne s’informent que sur Internet alors qu’il n’y publie rien ou pas grand-chose, PAN est un hebdo satirique belge de langue française, créé en 1945 et paraissant le mercredi. A ses origines, il traitait avant tout des questions politiques belges, sous l’angle de la satire. Son histoire fut imprégnée d’Histoire et passa par Paris et sa région. Votre serviteur contribue à PAN à titre gracieux depuis deux ans.
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Un philosophe du cru et d’un fort bon terroir, auquel il arrive de temps à autre de collaborer au PAN contemporain, avait acheté la collection reliée de l’hebdo satirique PAN à Henri Vellut, qui en fut l’une des grandes figures, au sens propre comme au sens figuré. Il en prêta un volume, le millésime 1958, à lire à son vénéré père, votre serviteur, ce qui l’amena à se replonger dans son histoire.
Henri Vellut, que Pierre Stéphany décrivit dans son livre sur Le monde de PAN paru en 2002 comme « droit comme un i, d’une courtoisie parfaite, d’une ironie toujours en éveil », attirant et intimidant, et Ivan du Monceau de Bergendal, qui avait sauvé le PAN en le rachetant pour le franc symbolique à ses fondateurs (Léo Campion, Marcel Antoine et Jean-Léo, lesquels l’avaient quelque peu négligé, laissant sa diffusion chuter de 20.000 à 3.000 exemplaires), se parlaient d’égal à égal, du moins par la taille, car tous deux dépassaient le mètre nonante (quatre-vingt-dix).
Ils se ressemblaient aussi, paraît-il, par l’allure et ils avaient suivi le même parcours scolaire, à l’Institut Saint-Boniface, où ils croisèrent un certain Georges Rémi (qui fut plus connu sous le nom de Hergé) et Paul Jamin (qui après quelques démêlés d’ordre judiciaire à la fin de la Seconde Guerre mondiale se fit connaître comme dessinateur de génie dans le PAN sous le pseudonyme d’Alidor).
Henri Vellut en fut presque dès le début. Lui et Ivan du Monceau de Bergendal se rencontrèrent un jour avenue Louise, peu de temps après la Libération, et se reconnurent. C’est ainsi que celui qui en devint à son retour de Paris en 1952 le rédacteur emblématique rejoignit l’équipe du PAN. Il en était encore à 89 ans, son âge lorsque parut le livre de Pierre Stéphany sur Le monde de PAN. Ivan du Monceau et Henri Vellut marquèrent l’histoire de PAN par la durée de leur engagement.
Soirées à Uccle
A des soirées auxquelles assistaient d’autres collaborateurs de PAN chez les du Monceau à Uccle, raconte Pierre Stéphany, on put voir se côtoyer, discourant du passé et s’amusant du présent, à moins que ce ne fut l’inverse, mais c’est moins sûr, Paul Jamin, Hergé et un certain Robert Poulet.
Le père de ce dernier, directeur de charbonnage, souhaitait que son fils prît sa succession dans les affaires et le poussa à entreprendre des études d’ingénieur des mines à l’Université de Liège. Il les acheva mais, peu disposé à suivre la voie tracée, Robert Poulet s’engagea dans l’armée belge en août 1914 et, après la guerre, il quitta tout et mena une vie de vagabond. Souffrant d’une tuberculose des os, il fut envoyé par un médecin au soleil à Nice. Il y écrivit des scénarios et réalisa des adaptations pour les sociétés cinématographiques installées dans le sud de la France.
En 1932, Robert Poulet publia aux éditions Denoël (du nom d’un Liégeois, Robert Denoël, qui fonda la maison en 1930 à Paris et était le fils de son directeur de mémoire à l’Université de Liège) un roman, Handji, aussitôt reconnu par Antonin Artaud et Bernanos comme un chef-d’œuvre et par un pape de la critique littéraire de l’époque, qui lui consacra une page dans Le Temps, comme un genre littéraire nouveau. Un des premiers succès de la maison d’édition fut toutefois Hôtel du Nord, mis en scène au cinéma par Marcel Carné, interprété par Louis Jouvet et Arletty et connu pour la réplique culte : « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ».
La petite histoire veut qu’un jour débarqua à la rue des Augustins, où le siège de la maison d’éditions Denoël consistait en une table, deux chaises et un téléphone dans un entresol, un grand gaillard, la trentaine fort énervée, du nom de Louis-Ferdinand Destouches, médecin de son état, qui portait sous le bras un volumineux manuscrit que Gallimard refusa et qu’un autre éditeur eût accepté de publier si son auteur en supprimât deux cents pages, ce dont il ne pouvait évidemment pas être question.
L’homme laissa son paquet aux bons soins de Robert Denoël qui n’en fit rien, quoi qu’il eut promis. Robert Poulet, lui, le lut et convainquit l’éditeur de le publier. Son titre : Voyage au bout de la nuit. Cette oeuvre qui constitua l’un des événements littéraires majeurs du siècle dernier rata le Goncourt d’un fifrelin mais obtint le Renaudot. Céline entrait dans la gloire. Robert Poulet y fut pour quelque chose, ce qui ne lui évita pas de se faire copieusement insulter par Céline dans Le pont de Londres.
M. de Saint-Germain
Par la suite, il se lança dans le journalisme, en collaborant à La Nation Belge, et créa, le 1er octobre 1940, Le Nouveau Journal, qui cessa de paraître en septembre 1944 et lui valut d’être condamné à mort par la justice belge le 3 octobre 1945 pour collaboration avec l’occupant allemand. « On aurait du mal à trouver, dans les éditoriaux de Poulet, une ligne méprisable, témoigne Pierre Stéphany. Il était néanmoins, de par ses fonctions, responsable de tout ce qui s’écrivait dans le journal. » Il n’est pas exclu non plus qu’il ne bénéficia de cautions au plus haut niveau (de l’Etat et de l’Eglise).
La condamnation à mort de Robert Poulet fut commuée, et puis, un beau matin de 1951, une voiture avec deux hauts fonctionnaires vint le prendre à la prison de Saint-Gilles, alla chercher sa femme et sa fille et déposa la famille et son maigre bagage au terme d’une expédition rocambolesque devant un modeste hôtel à Paris. Il lui fallut payer de lourdes amendes, dont il s’acquitta jusqu’au dernier centime, et recommencer sa vie à zéro, ce qui n’est pas une sinécure à soixante ans.
Henri Vellut, qui l’avait rencontré à Paris au moment où lui-même y vivait, parlait de Robert Poulet comme de quelqu’un qui « avait une très haute idée de lui-même et une très piètre idée des autres ». Dans son histoire drôle d’un drôle de journal 1945-2002, Pierre Stéphany le qualifie d’impérieux, raidi par la prétention, mais reconnaît que, s’il était loin d’y faire l’unanimité en raison de son passé, M. de Saint-Germain, comme l’appelait le comte du Monceau, car il vivait à Saint-Germain-en Laye et était censé exercer sa plume dans la clandestinité, Robert Poulet, donc, n’en fut pas moins « parmi les marginaux surdoués qui composaient l’équipe de PAN, le plus remarquable ».
« Du moins par le talent », dit-il. Sous le pseudo de Pangloss (inspiré par le personnage de Voltaire), il fournit à PAN, de 1957 à 1989, la meilleure chronique littéraire de la presse francophone belge avec les Italiques que le père Pirard signait « Un des trois » dans La Libre Belgique. C’était au temps où Bruxelles bruxellait, c’était au temps du cinéma muet.
Robert Poulet mourut à Marly-le-Roi, dans les Yvelines, le 6 octobre 1989, à l’âge de 96 ans. Votre plume peut aussi bien vous mener au peloton d’exécution et vous assurer la longévité.
Le monde de PAN, Histoire drôle d’un drôle de journal, 1945-2002, Pierre Stéphany, 366 pages, Editions Racine (épuisé).
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(Cet article a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4032 du mercredi 20 avril 2022.)
MERCI pour ces précisions! J’aime beaucoup Céline…. suis triste de voir que PAN n’est plus le PAN d’avant! Le sport prend une fameuse place et j’ai l’impression que la peur règne à la rédaction. Peur d’avoir des ennuis en cette période de dictature?