L’Etat s’est fait ces dernières années de plus en plus intrusif dans la vie des gens. Le respect de la vie privée est, surtout depuis les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, devenu illusoire, les opinions divergentes, par exemple en ce qui concerne la problématique du réchauffement climatique ou sur le thème des discriminations, sont censurées et sanctionnées, l’ingérence des autorités et des services de sécurité a augmenté de façon exponentielle.
Mais, constate Mattias Desmet dans l’introduction de De psychologie van totalitarisme, l’Etat n’en est pas seul responsable. La population elle-même aspire à ce qu’il intervienne avec plus de sévérité, comme l’indiquent les manifestations pour le climat et contre les inégalités sociales. La prédiction d’Hannah Arendt selon laquelle, après le nazisme et le stalinisme, la tentative totalitaire s’habillerait de nouveaux atours et serait l’oeuvre de technocrates et de bureaucrates est en voie de s’accomplir, sans que, comme le suggéra Yuval Noah Harari, la plupart des gens ne s’en rendent compte.
Propagande et intolérance
Mattias Desmet est professeur de psychologie clinique à l’université de Gand et la pratique dans son cabinet privé. Il s’est interrogé sur ce qui distingue le totalitarisme de la dictature et en est arrivé à la conclusion que la différence se situe sur un plan psychologique, à savoir qu’un régime dictatorial s’appuie sur la crainte qu’il instille dans l’esprit de ceux qui y sont soumis tandis que le totalitarisme se fonde sur un phénomène de psychose collective, l’impression de menaces collectives, réelles ou imaginaires, dont une population craint faire l’objet à la suite de rumeurs et de peurs.
Ce phénomène de psychologie sociale favorise l’émergence d’une pensée collective qui supplante la pensée individuelle au sein de la population et incite à renoncer à ses intérêts personnels au profit de la communauté, à se montrer intolérant à l’égard des opinions dissidentes et réceptif par rapport à la propagande et à l’endoctrinement à l’appui de théories pseudo-scientifiques.
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être fortuite et ce n’est pas anodin. Hannah Arendt en caractérisa la manifestation notamment par un mépris total des faits et une disposition d’esprit empêchant de faire la part des choses entre fait et fiction, entre le vrai et le faux. Ce n’est pas un hasard, selon Desmet, c’est la conséquence d’une pensée de type mécaniste, de la croyance en la toute puissance de la raison, un succédané de la tradition des Lumières.
Cette pensée a eu le double mérite de combattre les dogmes et l’ordre établi de l’époque et d’aboutir à ce que sa propre logique permette de la contredire à partir des travaux des physiciens Schrödinger et Heisenberg en ce qui concerne le noyau de la matière et du mathématicien et météorologue Edward Lorenz en ce qui concerne la prévisibilité dans les systèmes complexes et dynamiques (la catégorie dont fait partie la plupart des phénomènes naturels).
Mattias Desmet en infère que la science a réussi l’exploit d’apporter la preuve de ce qu’elle ne suffit pas à comprendre les choses et ne peut donc servir de guide ultime pour la conduite des hommes et l’organisation de la société. « Ce n’est pas la raison humaine qui est principe de toute chose, écrit-il, mais l’homme en tant qu’être qui fait des choix éthiques et moraux, l’homme par rapport à son prochain, l’homme face à l’indéfinissable qui lui parle au cœur des choses. »
A partir du moment où la science sert de prétexte à l’idéologie et au dogme, elle confirme à sa façon que la subjectivité de l’homme en est bien une dimension centrale. Le fait est que jamais autant qu’à notre époque les circonstances ne se sont prêtées au totalitarisme.
Mécanisation et industrialisation
Pendant des millénaires, l’homme a été soumis à son environnement ; dans les derniers siècles, il lui est advenu d’y imprimer sa volonté et d’améliorer sa condition. Cela comporte néanmoins un coût : ses liens avec la concrétude des choses et ses semblables se sont progressivement distendus, voire plus récemment annihilés. (Selon le Pew Research Center, cité par le New York Times, la majorité des emplois pouvant être exercés à distance l’étaient encore au début de cette année.) S’y ajoute un autre problème contemporain : la connaissance scientifique ou ce qui passe pour telle n’est pas toujours exacte, ni fiable.
Cet aspect n’est, selon Desmet, nulle part aussi évident que dans le domaine médical : 85% des études médicales sont entachées d’erreurs, de négligences, voire de fraude. Cela entraîne, écrit-il, que des médicaments validés par la recherche comme étant sûrs peuvent dans la pratique provoquer des milliers de victimes et des effets secondaires dramatiques à long terme. Il en cite à titre d’exemple les affaires Softenon et Distilbène et, plus récemment, la crise des opioïdes.
Ces dérives s’expliquent : santé et médications sont des phénomènes complexes et dynamiques ; en outre, des chercheurs allèguent que la psychologie y joue un rôle prépondérant. (Resterait à aborder l’aspect éthique que soulève le fait que les tests pour le développement de nombre de médications dont les effets sont souvent contestables et parfois contestés sont pratiqués sur des animaux…)
La pensée mécaniste a certes procuré à l’homme un pouvoir considérable de transformer la réalité physique, mais, Mattias Desmet s’exprime ici en psychologue clinicien et ce sera la conclusion de la première partie de cette recension, combiné à la pulsion (auto)destructrice inhérente à l’homme, ce pouvoir le confronte aux questions les plus épineuses auxquelles il ne l’a jamais été dans le cours de l’histoire.
(A suivre)
De psychologie van totalitarisme, Mattias Desmet, 272 pages, Pelckmans Uitgevers.
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(Cette recension a été publiée dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4049 du mercredi 17 août 2022.)