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L’empire des imposteurs

L’empire des imposteurs Posted on 24 décembre 20222 Comments

La semaine passée, le titre de cette chronique s’inspirait du recueil qu’avait publié en décembre 1999 le journaliste et essayiste libéral français Jean-François Revel (1924-2006), membre de l’Académie française, de ses propres chroniques politiques et littéraires des deux dernières décennies du siècle dernier sous le titre Fin du siècle des ombres.

Il s’en expliquait dans sa préface. Le XXe siècle a-t-il été l’antithèse de celui des Lumières ? Non, si l’on s’en tient aux énormes progrès des connaissances scientifiques réalisés au XXe siècle. Mais oui, si l’on prend en considération que le lien tissé par les intellectuels du XVIIIe siècle entre la politique et la vérité, l’action et la raison, la connaissance et la justice, a été défait au XXe « par égarement idéologique autant que par volonté de puissance ».

Les intellectuels du XXe siècle ont, accusa Jean-François Revel, eu bien moins à coeur de faire triompher le Bien et le Vrai que les causes pour lesquelles ils s’étaient engagés au mépris de la vérité et de la justice. « Au XXe siècle, c’est fort peu la vérité qui a servi de guide à la politique. Au contraire, c’est surtout la politique qui est devenue le critère de la vérité. Ce n’est pas la politique qui a été moralisée, c’est la morale qui a été politisée. »

A cet égard, le titre du recueil de Jean-François Revel, Fin du siècle des ombres, pris à la lettre, relevait d’un optimisme prématuré et le titre de cette chronique, il y a une semaine, « Le retour des ombres », était erroné : les ombres du siècle passé n’effectuent pas un retour, elles ne se sont jamais dissipées.

Marx et Hitler

Dans l’une des entrées de son recueil de 660 pages, Jean-François Revel s’étonne du temps qu’ont pris ses compatriotes avant de lire Marx, puis ses critiques (Hayek, von Mises, Schumpeter, etc.), mais déjà auparavant de lire Tocqueville, « le plus grand penseur politique de la France, ignoré dans l’enseignement secondaire et supérieur pendant plus d’un siècle ». Est-ce le mythe selon lequel le libéralisme serait de droite et viserait à supprimer tout système de protection sociale ? C’est faux, dit-il, l’expérience le prouve : c’est dans des sociétés libérales que de tels systèmes ont été institués.

Encore, entend-on chez ceux qui y sont opposés, faut-il faire la distinction entre le libéralisme politique et le libéralisme économique. Non seulement, c’est faux, pointa Revel, mais c’est absurde : comment pourrait-on enlever aux citoyens la totalité ou une grande partie de leur pouvoir économique et espérer qu’ils résistent aux abus du pouvoir politique ? Il suffit de lire Marx pour s’en convaincre. L’interventionnisme économique de l’Etat réduit toujours les libertés politiques.

Dans son Etat omnipotent écrit pendant la Seconde Guerre mondiale, l’économiste viennois Ludwig von Mises, qui émigra à cause du nazisme, fit un rapprochement entre les dix mesures économiques d’urgence que Marx préconisa dans le Manifeste communiste de 1847 et le programme économique de Hitler. « Huit sur dix de ces points, nota von Mises, cité par Revel, ont été exécutés par les nazis avec un radicalisme qui eût enchanté Marx. »

Dans la tradition hégélienne (cf. l’article précédent de cette chronique), l’Etat transcende l’individu, lui permet de s’accomplir et est omnipotent. Le Manifeste communiste et Mein Kampf s’en inspirent, ils préconisent le travail obligatoire pour tous et la constitution d’armées de travailleurs encadrés, entraînés et commandés, rappelle Revel.

Aux racines de la tyrannie

Il relève que le totalitarisme est un courant de fond continuellement présent dans la pensée humaine. Il suscite l’adhésion des masses – De psychologie van totalitarisme du professeur en psychologie clinique de l’université de Gand Mattias Desmet en fournit une tentative d’explication ; il en a été question ici – et il remporte parmi les élites un succès d’estime auprès de ceux qui le flattent, des imposteurs et des mystificateurs – ce penchant turpide de la nature humaine est aisément pénétrable. Tout flatteur… ça ne date pas d’hier.

Aucune forme de collectivisme ne peut justifier de sacrifier les libertés individuelles et concrètes à la construction d’un paradis futur, car l’histoire est imprévisible – il est difficile de se mettre d’accord sur son déroulement passé, alors, pensez, d’en anticiper l’évolution -, et toutes les tentatives passées de constructivisme social ont débouché sur la tyrannie, non par hasard, mais par dessein : « Tous les auteurs d’utopies, dit Revel, inscrivent le système répressif totalitaire dans l’organigramme initial de leur projet de société tel qu’ils le conçoivent dans sa perfection. La tyrannie traduit l’essence de leur pensée, et non point la difficulté de la mettre en pratique. » Il n’est pas fortuit que vous y voyiez des analogies avec l’écologie politique.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4066 du mercredi 14 décembre 2022.)

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2 comments

  1. Très grand merci pour ce texte parfait! « Ce n’est pas la politique qui a été moralisée, c’est la morale qui a été politisée » répond à une question que je me posais… et l’écologie politique fait PEUR car elle nous ruine, détruit beaucoup, et j’espère encore que nos concitoyens feront preuve d’esprit critique, s’instruiront…. réagiront!!

  2. Excellente synthèse ! Je vous conseille également, du même Revel : L’Obsession anti-américaine, Plon, 2002.
    Surtout et encore toujours, dans le contexte actuel.

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