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Force de caractère et destin national

Force de caractère et destin national Posted on 26 octobre 20244 Commentaires

Un lecteur attentif de cette chronique a reproché de ne pas avoir répondu explicitement à la question qu’elle posait la semaine dernière, à savoir « Pourquoi les nations déclinent-elles ? ». Il est vrai que, si l’article y répondait « a contrario » dès son premier paragraphe, il mettait surtout en évidence les vertus (au sens de son étymologie latine, virtus, l’énergie morale qui dispose l’Homme à faire le bien et à fuir le mal) qui ont permis aux Etats-Unis de devenir ce qu’ils sont devenus. A contrario, c’est la disparition de cette énergie morale et de ses valeurs et repères chez les Américains qui menace leur nation du déclin.

Bottom up vs top down

L’accent mis jadis sur l’autonomie individuelle a fait la grandeur des Etats-Unis en tant que nation, écrit Harold B. Jones dans Personal Character & National Destiny, l’accent moderne mis sur la dépendance va-t-il la détruire ? C’en est la question centrale. Sur le plan de la théorie de la connaissance, son approche relève clairement de l’individualisme méthodologique, autrement dit du point de vue que seuls les individus ont des buts et des intérêts et qu’ils expliquent à eux seuls les phénomènes socio-économiques (cf. Popper), par opposition au holisme qui prétend expliquer ces phénomènes dans leur globalité, dès lors que les propriétés de la globalité détermineraient les propriétés de ceux qui en font partie (cf. Hegel). Dit plus succinctement, l’analyse est bottom up dans le premier cas vs top down dans le second. Le Pr Jones propose des exemples historiques qui justifient du bien-fondé de sa méthode et sa thèse en se référant pour commencer à David McClelland (1917-1998).

Ce psychologue américain, l’un des plus cités au XXe s. selon une enquête de la Review of General Psychology de 2002, est connu pour ses travaux sur la théorie de la motivation à l’accomplissement. Après un doctorat en psychologie expérimentale à l’Université Yale en 1941, il rejoignit l’Université Harvard en 1956 où pendant trente ans il fut président du département de psychologie et de relations sociales. En 1961, McClelland a correctement prédit le « miracle » économique du Japon qui se manifesta dans les décennies suivantes, non sur la base de données économiques ou monétaires, mais sur la base des valeurs éducatives inculquées à ses enfants. John Kenneth Galbraith, cité par Jones, aurait dit un jour que les économistes préfèrent avoir tort pour les bonnes raisons que d’avoir raison pour les « mauvaises », en l’espèce ces données non modélisables sur les valeurs éthiques et éducationnelles qui donnèrent raison à McClelland.

Pour en revenir aux Etats-Unis, Harold B. Jones relève que, curieusement, après qu’ils eurent connu un essor prodigieux au XIXe siècle en s’inspirant d’une éthique de force de caractère et de recherche de la prospérité, faisant de leur pays l’endroit le plus désirable où vivre sur terre, ceux qui avaient joué un rôle important dans ce développement commencèrent à faire figure de malfaiteurs dans la presse et dans la littérature et, d’une manière générale, aux yeux de ceux qui précisément en avaient le plus profité.

Route de la servitude revisitée

La presse, dit Jones, n’a pas pour vocation de rechercher et de propager La Vérité. Elle a pour but de se vendre ainsi que de l’espace publicitaire. Ça ne se fait pas en disant qu’il fait beau et que tout va bien dans le meilleur des mondes possibles ; ça se fait en apportant des réponses simplistes qui font appel aux préjugés populaires et, de toute éternité, les préjugés à l’encontre des ceux qui ont réussi dans le commerce (cf. Platon) figurent parmi les plus populaires (à lire : le remarquable essai de Helmut Schoeck (1922-1993) sur L’envie : une histoire du mal). S’y ajoute le sentiment que l’économie est un jeu à somme nulle. Un pape (Léon XIII, dans Rerum Novarum, 1913) joignit sa voix au choeur. (L’actuel n’a rien inventé et cela va toujours dans le même sens.)

Bref, dès le début du XXe s., il s’avéra aux Etats-Unis qu’il fallait réguler l’activité économique sous le prétexte que, primo, les barons de l’économie formaient en quelque sorte une conjuration contre l’intérêt général ; secundo, le public était impuissant ; tertio, le salut résidait dans le création d’un gouvernement large et puissant – si ce n’est, comme le fit remarquer F.A. Hayek dans La Route de la servitude, que l’effet le plus important d’un contrôle gouvernemental étendu est son impact sur la force de caractère des individus. Restait à définir la notion d’intérêt général. A ce jour, on s’y essaie encore. Chaque fonctionnaire s’en fait, dans la parcelle de pouvoir qui lui a été attribuée, sa profonde confiance en ses immenses capacités et sa certitude qu’il est le mieux placé pour redresser le mal, sa propre idée. (La bafouille que Thierry Breton a cru devoir adresser, apparemment à titre personnel, avant qu’il ne soit éjecté de son poste à la Commission européenne, à Elon Musk en constitue un fort bel exemple, mais il y en a tant d’autres.)

Savoir, prévoir, pouvoir

En 1912, le démocrate Thomas Woodrow Wilson est élu à la présidence des Etats-Unis. Juriste et avocat, il reprit ses études et se tourna vers les sciences politiques et l’histoire. Détenteur d’un PhD (le seul président dans l’histoire des Etats-Unis), il enseigna dans plusieurs universités avant d’être nommé président de l’Université de Princeton. Sa thèse de doctorat plaidait pour un élargissement de l’exécutif au sein du pouvoir américain. Elu, il s’en inspira pour mettre en place un programme progressiste de New Freedom. Méfiez-vous du monde académique en général (on a pu récemment encore le constater à l’Université de Liège) et de ceux qui ont un plan pour sauver le monde et qui, habités des meilleurs sentiments au monde, une fois arrivés au pouvoir trouvent toujours le moyen de tourner le plan à leur avantage.

McClelland situe le revirement de l’opinion publique d’une culture d’accomplissement individuel à une culture d’affiliation sociale, c’est à dire un besoin d’appartenir et de se conformer, aux Etats-Unis, dans le milieu des années 1920. C’était dans l’air du temps. « Savoir pour prévoir, prévoir pour pouvoir ». Prophète de la réorganisation sociale de l’humanité définie comme le « Grand Être » dont il était le grand prêtre, Auguste Comte avait prêché au XIXe siècle la formation d’une nouvelle élite intellectuelle qui guide les esprits de la masse et ne se contente pas d’administrer les choses. Avant lui, le philosophe allemand Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) avait déjà prôné la subordination de l’individu à l’Etat, posant selon certains les fondations du national-socialisme. Fichte était le penseur préféré de Mary Parker Follett (1868-1933), une théoricienne américaine des organisations, fort appréciée en haut lieu aux Etats-Unis pour ses travaux sur le gouvernement et, notamment, son livre The new state paru en 1918.

Les trois premières décennies du siècle dernier constituèrent un tournant dans l’histoire des Etats-Unis, conclut Harold B. Jones. Le peuple américain avait survécu à la guerre de Sécession (« Civil War ») et aux dépressions économiques de 1873-1877 et de 1893-1897, sans se départir de sa foi dans les vertus de la liberté et de la puissance créatrice de l’individu. En étant arrivés à croire que la vie était décidément trop dure et la force de caractère sans objet, leurs héritiers ne se sentirent plus à la hauteur des défis et se mirent à chercher quelqu’un pour les protéger. Ce faisant, ils posèrent les premiers jalons d’un abandon de leur liberté et des principes fondateurs de la nation américaine.

Personal Character & National destiny, Harold B. Jones, Paragon House, St. Paul (MN), 260 p.

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4 commentaires

  1. GRAND MERCI pour ce texte particulièrement intéressant!
    Et je me permettrai d’insister encore sur l’intérêt du livre « L’envie » de Helmut schoeck: il montre bien que si « tout le monde doit avoir les mêmes droits » on arrive au résultat que nous voyons trop souvent à l’heure actuelle: les personnalités fortes qui font le progrès sont rejetées et le destin national se porte de plus en plus mal…..

  2. Je reprends la citation suivante dans la recension de l’ouvrage de Harold B. Jones : « Pour en revenir aux Etats-Unis, Harold B. Jones relève que, curieusement, après qu’ils eurent connu un essor prodigieux au XIXe siècle en s’inspirant d’une éthique de force de caractère et de recherche de la prospérité, faisant de leur pays l’endroit le plus désirable où vivre sur terre, ceux qui avaient joué un rôle important dans ce développement commencèrent à faire figure de malfaiteurs dans la presse et dans la littérature et, d’une manière générale, aux yeux de ceux qui précisément en avaient le plus profité. »

    Je ne sais ce qu’en penseraient les Indian natives confrontés aux massacres perpétrés ou provoqués par les esprits entreprenants dont Jones fait l’éloge …

    Que certains aient par la suite été vilipendés par la presse pour leurs exactions ne me parait pas anormal, même si une jalousie certaine contre la richesse des autres a pu jouer un rôle.

    Je tiens également à rappeler l’extrême religiosité de la plupart de ces esprits entreprenants qui étaient ainsi entièrement soumis non à l’Etat nation, mais à leur Dieu et leur Eglise Etat ! Cela ne les a pourtant pas empêchés de commettre de nombreux péchés condamnés par leur religion. Ben oui ! On ne peut pas entreprendre « en toute liberté » sans franchir certaines limites auraient-ils rétorqué, style on ne peut pas faire d’omelettes sans casser des œufs !

    Je pense également que l’argumentation développée pourrait s’interpréter comme un soutien à la loi de la jungle dont le défenseur le plus dangereux est actuellement Elon Musk qui veut à tout prix pouvoir tout se permettre sous couvert de libertarisme …

    Pour cela, il soutient Trump le milliardaire qui certainement ne s’est pas fait tout seul et a foiré la plupart de ses entreprises commerciales. A ce propos, j’aime beaucoup la caricature de Kroll dans le Soir qui voit Trump et Musk se promener main dans la main devant une foule MAGA en délire tandis qu’un conseiller interroge Musk pour savoir s’il est sûr que Trump est capable de diriger le pays, le monde. Réponse de Musk : ça, je m’en fous, c’est moi qui le ferai.

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