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Psychologie des croyances aux théories du complot

Psychologie des croyances aux théories du complot Posted on 6 mai 20232 Comments

Avec Pascal Wagner-Egger, assure Gérald Bronner dans sa préface à Psychologie des croyances aux théories du complot, Le bruit de la conspiration, nous avons affaire à un vrai spécialiste de ces questions. Il s’y intéresse depuis 20 ans, à la suite d’une étude sur les croyances relatives à la Lune dont l’une était que la mission Apollo XI ayant permis à l’homme de mettre pour la première fois le pied sur le satellite naturel de la Terre relevait d’un mensonge collectif.

L’auteur co-dirige l’unité de psycholinguistique et de psychologie sociale appliquée de l’Université de Fribourg (en Suisse) et s’intéresse aux croyances et aux biais de raisonnement à la croisée de la psychologie cognitive et de la psychologie sociale. Ce ne sont toutefois pas les seuls axes descriptifs et explicatifs du phénomène social complexe qui inspire les théories « complotistes ». A côté d’un aspect psychopathologique, il faut aussi prendre en compte le contexte plus général (globalisation, anomie, perte de contrôle) et une dimension sociétale et politique.

Un reflet de la complexité humaine

Les théories du complot ressortent autant de la psychologie et de la sociologie que de l’économie, de l’anthropologie et de la philosophie. Elles ont souvent pour origine la survenance d’un événement anxiogène et leur prolifération est facilitée par les recherches sur Internet et la caisse de résonance des réseaux sociaux. Ces théories, aussi contre-factuelles soient les narrations qu’elles proposent, comportent une vertu anxiolytique (elles rassurent, comme toute croyance), mais elles ne sont pas sans aspects délétères pour la société en ce qu’elles fournissent de mauvaises réponses à ce qui peut être de bonnes questions et induisent une méfiance généralisée vis-à-vis de la science, des médias et du monde politique.

Le « complotisme » résulte d’un dévoiement de la raison, de ce que l’on se met à croire aveuglément à une théorie – souvent une simple suspicion – sur la base de preuves insuffisantes, sans exercer son esprit critique. C’est une facette de l’entendement humain que de céder à des raisonnements intuitifs par réflexe de facilité (cf. Système 1 / Système 2, Les deux vitesses de la pensée, publié en 2011 par le « Prix Nobel » en sciences économiques Daniel Kahneman) et par réflexe défensif à l’égard des puissants. L’esprit « complotiste » réside dans une exagération de la tendance au doute. Les limites sont d’autant plus ténues que la science repose précisément sur l’exercice du doute pour combattre les dogmes ainsi que les croyances religieuses et pseudo-scientifiques. C’est d’ailleurs pour ce motif que la science doit rester indépendante d’autres intérêts (économiques et politiques, notamment) et que les médias devraient aussi s’en départir.

Reste que, parmi les différentes dimensions des croyances aux théories du complot, Wagner-Egger accorde la prépondérance au concept d’anomie. On le doit à Emile Durkheim dans son étude des déterminants sociaux du suicide. En cause la perte des valeurs religieuses, morales, civiques, communes à la collectivité et déjà (1897), selon l’auteur, l’émergence de l’idéologie individualiste, et plus récemment la perte de repères, de contrôle et de confiance dans un monde globalisé gouverné par des entités supranationales au fonctionnement opaque telles que l’UE, l’ONU, la Banque mondiale, etc… L’anomie se traduit par une sensation d’impuissance, d’absence de sens et de normes, d’aliénation sociale et d’isolement. Les recherches sur cette dimension des croyances aux théories du complot indiquent aussi un lien direct avec le niveau d’éducation, le statut socio-économique, les positions politiques, l’appartenance à des minorités. Pas besoin de se gratter la tête pour deviner où chacun se trouve sur une représentation en U de l’adhésion aux théories du complot.

Plus on en parle, plus on y croit

Il n’empêche que l’on ne peut exclure d’autres dimensions des croyances aux théories du complot : sociale (rivalités intergroupes et boucs émissaires), psychopathologique (attitude paranoïde à l’égard de certains groupes dans la population, lutte entre le bien absolu et le mal absolu, absence d’estime de soi, insécurité face au développement de la technoscience, et, d’une manière générale, la peur – en particulier celle du risque –, un sentiment savamment exploité – qui est à la société post-moderne ce que la misère était à la société industrielle), irrationnelle (nouvelles formes de religiosité post-modernes dans lesquelles plusieurs biais cognitifs – proportionnalité, conjonction, intentionnalité, confirmation, asymétrie – jouent à fond) et, enfin, communicationnelle (accès aisé au « savoir » et production incontrôlée dudit « savoir » via Internet, mécanisme de l’effet de vérité – « plus on en parle, plus on y croit »). Cet aspect paraît au moins aussi problématique que le premier, l’anomie, et, si on y réfléchit, sans doute en est-il en grande partie responsable. On ne résiste pas à rapporter ce mot d’Umberto Ecco : « Aujourd’hui, [des légions d’imbéciles] ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. »

Arrogant ? Non, répond Pascal Wagner-Egger, car il y a inévitablement plus de non-spécialistes que de spécialistes (c’est ainsi dans tout) et cet état de fait est aggravé sur la toile par d’autres facteurs : une amplification des biais cognitifs, l’usage d’arguments cognitivement plus « démagogiques », l’asymétrie du bullshit (à savoir qu’il faut plus de temps pour réfuter une fausse information ou croyance qu’il n’en faut pour la concevoir) et les bulles de filtrage propres au fonctionnement de l’Internet (qui aboutit à confiner les internautes dans leurs a priori).

Psychologie des croyances aux théories du complot, Le bruit de la conspiration, Pascal Wagner-Egger, 168 p, PUG (Presses universitaires de Grenoble).

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4084 du mercredi 26 avril 2023.)

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