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La compagnie des voyants (Mathieu Laine) : Lire pour vivre

La compagnie des voyants (Mathieu Laine) : Lire pour vivre Posted on 29 avril 20233 Commentaires

Warren Buffett et son associé Charlie Munger qui, à respectivement 92 et 99 ans, dirigent Berkshire Hathaway, l’un des plus grands conglomérats au monde, avouent qu’ils partagent une même passion. Elle les empêche de travailler dans le même pièce, car cela risquerait de les en détourner : celle de lire. La plupart des gens traversent la vie sans vraiment devenir plus intelligents. Pourquoi ? Parce qu’ils ne font tout simplement pas l’effort nécessaire. Il est facile de rentrer chez soi, de s’asseoir sur le canapé, de regarder la télévision jusqu’à l’heure d’aller au lit. Mais cela n’aide pas à devenir plus intelligent ; cela n’aide pas à augmenter ses connaissances ; cela agit comme un psycholeptique.

Les deux compères ne lisent pas parce qu’ils sont devenus multi-milliardaires et qu’ils en trouvent le temps ; ils sont devenus multi-milliardaires parce qu’ils lisent et en ont pris le temps. Ils concèdent que cela leur permet de sacrifier du temps à une autre activité favorite et surannée, celle de réfléchir. Nul doute que ces activités d’un autre âge leur ont aussi permis de garder l’esprit vif-argent (sans jeu de mots) à leur âge et nul besoin, soit dit en passant, d’ambitionner de devenir multi-milliardaire pour ambitionner, selon la formule de Munger, d’aller se coucher en étant un peu plus intelligent que quand on s’est levé. Restera, par la suite, à faire ce qu’on aime faire et à s’entourer de gens positifs pour être heureux. Mais ça, c’est une autre histoire. Commençons par lire puisque ces préliminaires nous y invitent, ainsi que Mathieu Laine et le livre dont il sera question dans la suite de cet article.

Ceux qui croient avoir absolument raison

Mathieu Laine est professeur d’Humanités à Sciences Po, éditorialiste au Figaro et aux Echos, rédacteur dans Le Point, entrepreneur et l’auteur de plusieurs essais. Son dernier, La compagnie des voyants, référence aux Lettres du voyant d’Arthur Rimbaut, attribue aux grands romanciers une même vertu de lucidité qu’aux poètes et aux grands romans le rôle qu’étaient censés remplir dans l’Antiquité les récits mythologiques, à savoir d’aider à comprendre l’Homme et la marche du monde. Il fait sienne la croyance de Romain Gary en « la liberté individuelle, la tolérance et les droits de l’homme contre les déchaînements totalitaires, nationalistes, racistes, mystiques et idéomaniaques. »

Gary aimait, paraît-il, répéter cette phrase d’Albert Camus : « Je suis contre tous ceux qui croient avoir absolument raison. » Raymond Aron, François Furet, Simon Leys empruntèrent la même ligne de pensée et mettaient en garde contre les falsificateurs qui, se proclamant défenseurs de la liberté, osent arguer de leurs idéaux pour justifier les morts – suivez ce regard qui par-delà l’Être et le Néant porte jusque dans toutes les Absurdies. C’est là et à la fièvre vengeresse que nous emmène le Moby Dick de Herman Melville, « la difficulté, écrit Mathieu Laine, d’être vivant et de déterminer la signification de cette vie sans cesse ballottée entre croyances et vérités. »

« Homère du XIXe siècle, [Melville] puise dans la Bible autant qu’il rivalise avec elle, […] forgeant ses personnages dans des élans shakespeariens, prométhéens et faustiens. » Ils se trouvent au coeur des mythes fondateurs de la société européenne. Nous voilà à bord de la Nef des fous platonicienne, avance Mathieu Laine, « cette allégorie d’un gouvernement dont la démesure et l’intempérance conduisent l’équipage des citoyens au naufrage par la quête illuminée d’un absolu mortifère ». Puisse la littérature, en effet, nous aider à démasquer ces parasites et leurs leurres avant qu’ils ne se laissent posséder par Les Démons dostoïevskiens et, « partant d’une liberté illimitée, n’aboutissent au despotisme illimité »… Parlant de « ces soldats de la Cause [qui] préfèrent sacrifier leurs contemporains aux générations futures », comment en effet ne verrait-on pas s’agiter dans leur folie mortifère les inconditionnels de l’écologisme ?

Ceux qui ne savent pas mais qui affirment

Evoquant l’autre grand roman d’Orwell, La Ferme des animaux, Mathieu Laine parle des « trappes à raison » que ménagent les « prédateurs de pouvoir et manipulateurs de conscience » qui prétendent agir pour nous quand ils ne le font, en vérité, que pour eux et par nous. Comme toujours, dit-il, ces prophètes au poil ras nous promettent l’ailleurs, le nouveau monde, la reconquête des territoires, le retour aux traditions, l’égalité parfaite, la fin des privilèges, abus et violences : c’est une constante de l’Histoire et pourtant, de génération en génération, effet d’une sorte d’amnésie collective, on l’oublie. Et, cette capacité à se bercer d’illusions aboutit à une autre constante de l’Histoire, celle d’accepter une servitude progressive sous la coupe d’une bande de voyous organisés. Pourra-t-on indéfiniment se fier à la nature humaine, qui aspire à la liberté, pour y résister ? A cet égard, la récente épidémie, qui remit en évidence les travers humains face à l’angoisse collective qu’avaient mis en scène Albert Camus dans La Peste et Jean Giono dans Le Hussard sur le toit, n’incite guère à un optimisme béat, a fortiori quand les médias font dans la divination et que les honnêtes gens s’en remettent à ceux qui ne savent pas mais qui affirment.

« Les honnêtes gens ne disent rien, écrivit Simon Leys dans son livre sur Orwell, car ils ne voient rien, faute d’imagination » : c’est à pallier cette déficience à comprendre le monde et l’époque et à se prémunir contre les idées fausses que sert la clairvoyance des grands romanciers. Lisez-les. Le livre de Mathieu Laine en est un précieux guide. Vous serez en excellente compagnie.

La compagnie des voyants, Mathieu Laine, 336 pages, Grasset.

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(Cet article a paru dans l’hebdo satirique PAN n° 4083 du mercredi 19 avril 2023.)

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3 commentaires

  1. La nature humaine…. admettons qu’elle est plutôt passive et attend le bonheur comme un cadeau! Un vrai cours d’histoire – de littérature surtout – et un de psychologie seraient utiles dans cette école – garderie que nous subissons.

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