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Histoire de la vie privée : De l’Empire romain à l’an mil

Histoire de la vie privée : De l’Empire romain à l’an mil Posted on 15 janvier 20221 Comment

De l’Empire romain à l’an mil est le premier de cinq volumes retraçant l’Histoire de la vie privée à travers les âges dans le monde occidental, parus à l’origine au Seuil entre 1985 et 1987 et réédités en 1999 au format de poche dans la collection « Points Histoire », sous la direction des historiens Philippe Ariès, qui lança l’entreprise mais ne put en voir l’aboutissement car il disparut brusquement en 1984, et Georges Duby.

Ce premier volume couvre tout un millénaire de vie privée, de César et Auguste à Charlemagne et à l’avènement des Comnènes sur le trône de Constantinople. Nassim Nicholas Taleb contribua à faire connaître la série, et ce premier tome en particulier, par l’allusion qu’il y fit dans la sixième partie de son essai Jouer sa peau (en anglais : Skin in the game) dans laquelle il évoquait la problématique de l’agent. « Dans n’importe quel type d’occupation ou d’entreprise qui est déconnectée de la réalité de l’expérience directe, écrit-il, la grande majorité des gens connaissent le jargon, jouent leur rôle, sont au fait des aspects superficiels, mais n’ont aucune idée de ce qui en fait l’objet véritable. »

Statistiquement plus solide

L’intérêt de cette série, commenta-t-il par la suite au sujet de sa version anglaise, est qu’elle relate le quotidien le plus prosaïque de nos semblables à ces époques, et non les événements et personnages sensationnels qui ont émaillé l’histoire, et elle offre une vision globale et transdisciplinaire des faits de société dans la longue durée et dans l’espace plutôt qu’une sorte de journalisme dont la version moderne est de s’attarder aux accidents d’avion et aux attaques de requins au lieu des embouteillages et du diabète.

Cette méthode est, conclut Taleb, « statistiquement » plus solide (qu’une énumération d’actes isolés, aussi éclatants soient-ils) et il confie avoir fait de l’ouvrage un livre de chevet qu’il lit et relit.

De fait, la série s’inscrit dans la longue durée puisqu’elle couvre plus de deux millénaires d’histoire de la civilisation occidentale pour un concept, celui de vie privée, qui n’a pris forme et consistance qu’au XIXe siècle, Georges Duby en convient dans sa préface, mais qui de tout temps s’est exprimé dans le contraste entre le public (la communauté du peuple et l’autorité de ses magistrats) et le privé (l’espace domestique, secret) ; concept qui s’est diversifié en se personnifiant et qui s’est transformé avec le renforcement de l’État et ses intrusions de plus en plus importantes dans le domaine privé.

Le premier tome commence avec l’Empire romain au temps du paganisme et il fait ressortir l’apport subséquent du christianisme dans l’évolution de la civilisation occidentale et le passage de l’homme civique à l’homme intérieur. Non pas que Rome constituerait le fondement de l’Occident moderne, « je n’en sais rien », écrit Paul Veyne dans son introduction. Les Romains sont prodigieusement différents de nous et ne forment, selon lui, qu’un précipité de la civilisation hellénistique.

Cette civilisation, la seule « universelle » de cette époque, régnait de Gibraltar à l’Indus. Les Grecs en furent les premiers détenteurs, les Romains se l’approprièrent et lui imposèrent un appareil d’État. Son étendue se réduisit par la suite, au Ve siècle de notre ère, à sa moitié orientale, byzantine. (C’est non sans arrière-pensée que Taleb se qualifie de gréco-levantin.)

Un héritage romain ?

Comment douterions-nous toutefois de notre héritage romain en lisant au sujet de l’Empire ce même Paul Veyne quand il écrit que les notables romains (la classe dirigeante de l’époque) avaient un sens prononcé de la majesté et de l’autorité de l’Empire mais qu’ils manquaient singulièrement de ce que nous appellerions le sens de l’État et du service public et faisaient difficilement la distinction entre fonctions et finances publiques, d’une part, et dignité et bourse privée, d’autre part ; et, plus loin, qu’« une classe sociale qui est fière de sa supériorité chante sa propre gloire (c’est ça l’idéologie) » ?

Ou, encore, comment ne verrions-nous pas dans la mentalité profondément affairiste des potentats de l’Empire, par-delà les structures et les intérêts de classe, comme des relents d’un capitalisme de connivence avant la lettre ? Pourtant, Rome, mère du droit, n’était-elle pas censée être un État selon le droit où l’arbitraire l’eût cédé à la justice publique ?

« Quoi que l’on ait pu dire, Rome ne fut pas un État selon le droit civil ou public, mais un État qui obéissait en tout à une réalité déconcertante pour le sociologisme moderne : une classe gouvernante, écrit Paul Veyne ; le droit public de Rome s’éclaire lui-même quand on cesse d’y chercher des règles et que l’on sait que tout s’y jouait au coup par coup, selon les rapports de force à chaque moment. »

Rome n’est pas plus un État traditionaliste, à l’anglaise, régi par un droit inspiré de la coutume. De cette dernière, les puissants ne se servaient que si elle servait leurs intérêts : on pouvait lui faire dire n’importe quoi. Paul Veyne parle d’un fouillis institutionnel semi-fluide, d’un autoritarisme sans règle du jeu, dans lequel la « bonne foi » se mesure par rapport à un homme, non à un pacte.

Dans la cité régnait l’évergétisme, une forme de générosité pratiquement obligatoire pour un notable qui exerçait une magistrature dans le monde hellénistique. Cela donnait à la population l’occasion de festoyer, de banqueter, de boire, de célébrer Bacchus, le dieu du plaisir et de la sociabilité, pas un vrai dieu, bien que certains y croyaient, mais l’un de ceux, nombreux, qui réglaient l’existence dans ce monde gréco-romain empreint de paganisme, une religion sans théologie ni Église, sans au-delà ni salut, « à la carte plutôt qu’au menu ».

N’y a-t-il pas là aussi plus qu’un troublant parallèle à tracer avec le monde occidental contemporain dans lequel l’idéologie tient lieu de nouvelle métaphore, et la jouissance, d’éthique ?

Histoire de la vie privée, tome 1 : De l’Empire romain à l’an mil, sous la direction de Philippe Ariès et Georges Duby, 672 pages, Seuil, Points, Histoire.

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(Cet article sur l’histoire de la vie privée a été publié dans l’hebdomadaire satirique PAN n° 4017 du mercredi 5 janvier 2022.)

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